Le Génie du mal (Compulsion) – de Richard Flesicher – 1959
En 1924, deux jeunes garçons trop gâtés de la haute société de Chicago décident d’assassiner froidement un enfant du quartier choisi par hasard, parce qu’ils ont la certitude que leur intelligence supérieure leur permettra de commettre le crime parfait. Arrêtés à cause d’un petit détail, les jeunes meurtriers sont défendus par un avocat vedette, farouche opposant de la peine de mort, qui leur évite la pendaison à l’issue d’une plaidoirie magistrale.
Ce fait divers authentique et glaçant a inspiré une pièce de théâtre que Hitchcock adaptera : La Corde. Trente ans après les faits, il a aussi abouti à l’écriture d’un best seller resté comme une référence, précurseur du De sang froid de Truman Capote. Il faut souligner que, même si le livre est écrit longtemps après les faits, l’auteur, Meyer Levin, en est un témoin direct. Non seulement il avait suivi l’affaire en tant que jeune journaliste, mais il connaissait personnellement les tueurs, qu’il fréquentait sur les bancs de la fac. Tous les noms ont été modifiés, y compris le sien : Sid, le personnage du jeune journaliste, c’est lui bien sûr.
C’est ce livre qu’adapte peu après sa sortie Richard Flesicher, à la fois description presque clinique du crime et de l’enquête qui a suivi, et plongée vertigineuse dans la logique glaciale de ces deux tueurs. C’est aussi le portrait d’une époque, d’une classe sociale, et des rapports humains qui est au cœur de Compulsion, dont le noir et blanc tranche avec celui plus romantique des premiers films noirs de Fleischer.
Un aspect très réaliste, et même quotidien, quasiment de cinéma-vérité, qui contribue pour beaucoup à la puissance du film. Que ce soit dans la préparation du crime, ou dans la manière dont les deux jeunes tueurs (Dean Stockwell et Bradford Dillman) assument leurs actes et font face à l’enquête, il y a quelque chose de vraiment glaçant dans ce film. Leur froideur contraste cruellement avec leurs visages juvéniles, et leur absence revendiquée de sentiments est soudain contredite par de brefs accès de sincérité…
Tête d’affiche, Orson Welles n’apparaît que dans la dernière demi-heure, mais dès son entrée en scène, il donne une nouvelle direction au film : le cinéma vérité se transforme alors en un plaidoyer inattendu contre la peine de mort. La folie du cinéaste-acteur est parfaitement bridée par Fleischer, et la prestation de Welles est l’une des plus belles de sa carrière. Sa lassitude, son regard qui semble revenu de tout, font merveille dans l’inoubliable (et longue) plaidoirie qui clôt le film. Puissante, fascinante et bouleversante.
• Un blue ray de haute volée vient de sortir aux éditions Rimini. Le film est présenté dans une copie parfaite, et le disque s’enrichit de bonus très intéressants : un long documentaire consacré à l’affaire qui a inspiré le film, une présentation par François Guérif du livre de Meyer Levin, une introduction de Richard Fleischer (tirée d’un entretien de 1996), un retour sur les films noirs de Fleischer, et surtout une évocation par l’historienne du cinéma Linda Tahir de la carrière d’acteur d’Orson Welles.
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