Printemps tardif (Banshun) – de Yasujiro Ozu – 1949
L’attachement à la figure du père est une nouvelle fois au cœur de ce film d’une beauté à la fois simple et déchirante du grand Ozu. Avec, déjà, Chishu Ryû et Setsuko Hara, les futurs interprètes de Voyage à Tokyo, respectivement père veuf et vieillissant, et fille trop attachée à la vie avec lui pour envisager sereinement de se marier… Rien de plus : juste les quelques mois qui séparent l’enfant de la femme, et la difficulté de rompre ce lien filial qui suffit au bonheur de la jeune femme…
Ce n’est que le troisième film d’Ozu depuis la longue interruption durant la guerre. Le Japon qu’il y montre n’est plus tout à fait le même que lors de ses débuts. La tradition est toujours là : les rituels du thé et (et surtout, ici) du saké sont plus importants que jamais, dans ces intérieurs qui semblent ne porter aucune trace de la décennie qui vient de s’écouler. Mais rien n’est plus tout à fait comme avant. Des publicités pour Coca, des panneaux de circulation en miles, des enfants qui jouent au base-ball, des voitures américaines qui conduisent des mariées très traditionnellement vêtues, et puis des divorces et des remariages, qui ne choquent plus grand monde…
C’est un pays en pleine mutation que filme mine de rien le cinéaste, à travers le portrait de cette jeune femme elle aussi à la croisée des chemins. Une jeune femme qui n’aspire qu’à conserver, ou retrouver, l’harmonie de son enfance. Au détour d’un dialogue, et malgré le sourire éclatant qu’elle arbore constamment, en tout cas dans la première partie du film, Ozu nous glisse à l’oreille qu’elle a été malade, peut-être gravement, souffrant vraisemblablement des privations de cette guerre qu’on n’évoque qu’avec une légèreté apparente. Est-ce pour cela qu’elle est la dernière de ses camarades de lycée à se marier, certaines de ses amies ayant déjà quatre enfants, d’autres en étant à leur deuxième mariage…
L’arrière-plan historique n’est pas anodin. Pourtant, c’est une histoire universelle qu’Ozu raconte : celle d’un père et de son enfant à l’aube de l’âge adulte. Et on sent bien l’admiration qu’a Ozu (qui, lui, n’a jamais quitté le foyer parental) pour ce père, dont il fait un homme totalement tourné vers le bonheur de sa fille, feignant une quasi-indifférence à l’idée de son départ. Parfois un peu maladroit, lorsqu’il suit les conseils de sa sœur (ou est-ce sa belle-sœur ?) pour inciter sa fille à se marier. Parfois presque comique, lorsqu’il tente d’interroger sa fille sur ses relations avec un jeune homme. Et puis soudain bouleversant et héroïque lorsque, le devoir accompli, il se retrouve seul…
Avec cette histoire d’une simplicité confondante, Ozu signe un film superbe et plein de vie. Des petits riens du quotidien, le cinéaste fait des moments forts et intenses. Comme souvent dans son cinéma, l’émotion émerge de recoins totalement inattendus. Un plan sur le père et la fille assistant à une représentation de théâtre nô, le regard du père face au fou-rire de sa fille, une intimité qui se noue autour d’une table basse… Et derrière tout ça, l’imminence du départ, inéluctable et déchirant.
• Le film figure dans le coffret que Carlotta a consacré à Ozu, avec quatorze de ses films.
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