Razzia sur la chnouf – de Henri Decoin – 1955
L’année précédente, Touchez pas au grisbi avait permis à Gabin de se construire un nouveau personnage, loin de ses rôles de prolétaires tragiques de l’avant-guerre. Plus mûr, bien installé, le personnage impose le respect et se dresse, droit comme un I. Le film de Henri Decoin s’inscrit dans la même lignée : le titre, bien sûr, semble être un écho à celui de Jacques Becker. Mais les similitudes ne s’arrêtent pas là : tous deux adaptés de romans de la Série Noire, les deux films permettent aussi à Gabin de donner la réplique à Paul Frankeur et surtout Lino Ventura, impressionnant en homme de main.
Razzia sur la chnouf est en tout cas une belle réussite, joliment photographiée et répondant à une démarche ambitieuse et aboutie : plonger dans les bas-fonds de Paris, là où la drogue circule à flot. La faune que l’on y croise n’a rien de romantique : des paumés camés aux regards perdus, des toxicos trop conscients de leur propre dépendance (un beau rôle pour Lila Kedrova, la future « comtesse » du Rideau déchiré), des petites gens qui pensent pouvoir profiter d’un système sanguinaire et inhumain…
On est loin du cinéma de papa dont Gabin deviendra l’un des symboles. Le ton, ici, n’a rien de complaisant ni de romanesque : l’univers que décrit Decoin est glauque et violent, et ne laisse guère de place aux sentiments. La partition qu’y joue Gabin, entre fermeté et bienveillance, n’est en est que plus complexe.
Cinéaste inégal, Decoin est ici particulièrement inspiré. Sa caméra, au plus près des visages, capte parfaitement les sentiments de ses personnages, qu’elle filme l’attirance sexuelle de Gabin et Magali Noël (dans une scène d’une sensualité troublante), ou l’angoisse d’un jeune dealer qui se sait condamner. Le film atteint même un sommet lors d’une virée nocturne dans Paris de Gabin et Lila Kedrova, qui se termine dans un club où se retrouvent des fumeurs de marie-jeanne sur des rythmes antillais. Le film devient alors totalement immersif, et bouscule le spectateur troublé face aux effets de la drogue. Une charge dérangeante, en plus d’un polar efficace…
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