Griffes jaunes (Across the Pacific) – de John Huston – 1942
L’année précédente, John Huston était passé pour la première fois derrière la caméra en signant un immense chef d’œuvre, Le Faucon maltais, qui faisait passer Humphrey Bogart définitivement du côté des mythes immortels du cinéma. Pour leurs retrouvailles, les deux comparses ne réitèrent pas le miracle de leur première collaboration. Mais Griffes Jaunes, film de propagande tourné alors qu’Hollywood contribuait à sa manière à l’effort de guerre (l’attaque de Pearl Harbor a eu lieu pendant la préparation du film, incitant les auteurs à « déménager » l’intrigue de Hawai à Panama), est loin d’être une œuvre mineure.
Griffes jaunes a tout du film de commande : film de propagande, donc, il semble aussi avoir été produit en grande partie pour renouer avec le triomphe du Faucon… puisque Bogart y côtoie une nouvelle fois Mary Astor et Sydney Greenstreet. Dans le beau livre qu’il a consacré à John Huston, Patrick Brion affirme aussi que Peter Lorre fait une brève apparition dans un rôle de serveur. Mais il faudra que je le revoie pour le confirmer…
Ce qui sera d’ailleurs avec plaisir : Griffes jaunes, est un pur plaisir, et un curieux objet particulièrement riche. On est d’abord surpris par cet étrange mélange de légèreté et de profonde noirceur : les jeux romantiques et presque enfantins de Bogart et Mary Astor, qui semblent prendre un plaisir fou (et communicatif) à se moquer l’un de l’autre, s’inscrivent dans un contexte très sombre et violent : l’action du film se déroule dans les quelques jours qui précèdent le 7 décembre 1941.
On sent bien que les comédiens et le cinéaste se sont amusés sur le tournage. Pour autant, on est loin de la nonchalance qui a pesé sur quelques films tardifs de Huston. Le cinéaste apporte une grande attention à la composition de chaque plan, y compris le plus anodin. Il suffit souvent d’un rien : une fumée de cigarette qui coupe l’image, la brume qui estompe les silhouettes, un reflet dans un miroir, une ombre portée sur un mur, la lune qui fait briller l’eau d’un port… Le film, magnifiquement photographié (par Arthur Edeson, déjà présent sur Le Faucon maltais), bénéficie aussi d’un montage très efficace de Don Siegel, et de décors exceptionnels (signés Casey Roberts).
Des décors que Huston utilise avec une belle intelligence, et son sens du cadrage, lors de quelques séquences d’action assez formidables, notamment celle, tendue et impressionnante, dans la salle de cinéma. Across the Pacific est sans doute un film mineur dans la filmo commune de Bogie et Huston, marqué aussi par racisme anti-nippon à remettre évidemment dans le contexte historique de l’époque (sur le monde « ils se ressemblent tous »). Mais le plaisir de spectateur est absolument jubilatoire.
• Un DVD a été édité il y a quelques années par Warner, avec un documentaire consacré aux films de propagandes hollywoodiens, et le bêtiser de l’année, court métrage produit par Warner en 1942.
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