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Hôtel du Nord – de Marcel Carné – 1938

Classé dans : 1930-1939,CARNÉ Marcel — 1 juillet, 2014 @ 20:05

Hôtel du Nord

Marcel Carné enchaîne les classiques indémodables, à cette époque. Et cet Hôtel du Nord, adapté par Jean Aurenche et Henri Jeanson (et pas par Jacques Prévert, pour une fois), d’un roman de Eugène Dabit, est souvent considéré comme l’un des sommets du réalisme poétique qui marque ce cinéma d’entre-deux-guerres.

Les dialogues de Jeanson sont fabuleux bien sûr : l’inoubliable « Atmosphère » en tête, et des dizaines d’autres répliques que l’on sent parfaitement calibrées, mais qui font mouche et émeuvent. « Faut-il que j’t’aime pour que j’te l’dise » lance ainsi un Louis Jouvet bouleversant dans le rôle d’un souteneur qui révèle, trop tard, son humanité cachée devant une jeune femme pure (Annabella) qui lui rappelle sa jeunesse trop vite disparue…

Les décors d’Alexandre Trauner font eux aussi partie des plus grandes réussites du cinéma français : tourné en studio, Hôtel du Nord déborde de vie, et semble condenser à l’écran toute la société française populaire de ces années qui précèdent la guerre.

C’est d’ailleurs là que réside le vrai génie du film : dans la capacité qu’a Carné d’évoquer la France inquiète de la fin des années 30. Dans cet hôtel tenu par un couple au grand cœur, tellement bon qu’on a envie de les serrer contre soi, se croisent des paumés, des minables, des laissés pour compte. Arletty en prostituée, Jean-Pierre Aumont en amoureux lâche et transi, Bernard Blier en éclusier mal marié, Paulette Dubost en épouse peu fidèle… Pas glorieux ce microcosme qui semble fermé au monde extérieur.

« Semble » seulement, parce que même si Carné ne sort quasiment pas sa caméra de l’hôtel du Nord et de ses abords (mise à part une escapade à Marseille, comme un rêve éveillé vers une autre vie qui n’aura jamais lieu), le film n’est pas pour autant sourd aux remous du monde. La présence d’un orphelin rescapé de la guerre d’Espagne, les allusions d’un petit flic mesquin et raciste, un travailleur contraint à vendre son sang pour vivre, un homosexuel (François Perrier, tout jeune) qui se cache mal pour vivre ses amours… Le film n’élude rien des mesquineries de cette France, et des bouleversements du monde.

Film chorale qui a inspiré des tas de cinéastes depuis soixante-quinze ans, Hôtel du Nord est une merveille. Jouissif par son écriture et la prestation des comédiens, bouleversant, et un modèle d’intelligence.

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