Mauprat – de Jean Epstein – 1926
Après une série de grands succès tournés pour les studios Albatros (dont l’épique Les Aventures de Robert Macaire), Jean Epstein gagne son indépendance et crée sa propre maison de production. Le premier film de cette « nouvelle carrière » est une adaptation d’un roman de George Sans, film épique en costume qui semble s’inscrire dans la continuité de sa période Albatros.
Il est vrai que le film est moins spectaculaire, formellement parlant, que des œuvres comme Cœur fidèle ou La Chute de la maison Usher, ou même Finis Terrae, autant de films marqués par les géniales expérimentations d’un cinéaste décidé à rompre avec la vieille tradition du « Film d’Art » pour entrer dans l’ère du « 7ème Art ».
Les toutes premières images, d’ailleurs, sont d’une banalité presque déconcertante venant d’Epstein, quand on n’a vu jusqu’à présent qu’une poignée de films majeurs du cinéaste (ceux déjà cités, donc). Dans ces quelques premiers plans, rien ne distingue vraiment Mauprat des autres films en costumes tournés à la même époque.
Mais très vite arrivent ces détails qui changent tout. La caméra cadrée sur les pieds d’un voyageur perdu, plutôt que sur le visage ; une série de surimpressions qui soulignent le mouvement ; un montage au dynamisme incroyable… Déjà, Epstein n’expérimente plus : il maîtrise totalement cet art auquel il apporte une nouvelle maturité.
Quelques scènes de transition sont plus banales, filmées visiblement sans grand intérêt. Mais toutes les séquences importantes sont d’une modernité impressionnante, parce qu’Epstein met totalement sa science du langage cinématographique au service de cette histoire d’amour impossible.
Le thème même du film ne souffre absolument pas des neuf décennies écoulées : Mauprat, du nom d’une famille que l’histoire a divisée entre riches bourgeois et odieux bandits. Entre ces deux branches, personnalisées par deux frères jumeaux (interprétés par le même comédien donc : Maurice Schutz, intense et nuancé), une histoire d’amour contrariée, éternelle variation sur le thème de Romeo et Juliette : la fille du bon frère est sauvée par son cousin orphelin élevé par le mauvais frère et qui se voit offrir une nouvelle chance de sortir de la fange.
Pas si simple, parce que le « beau monde » est filmé comme une prison étouffante gangrenée par des conventions qui condamnent d’avance les amoureux, alors que le monde des bandits, peuplé d’êtres détestables, est aussi synonyme de libertés et de grands espaces… C’est cette opposition des deux mondes, et la manière dont le jeune orphelin est tiraillé entre les deux versants de sa famille, qui intéressent vraiment Epstein dans ce beau film plein de vie.
• Mauprat fait partie du magnifique coffret que Potemkine consacre à Jean Epstein à l’occasion de la rétrospective de la Cinémathèque Française. Au menu : quatorze films muets ou parlants, et un grand documentaire. Mauprat est accompagné d’une formidable musique de Neil Brand enregistrée en 2013. Le coffret est un rien cher, mais incontournable.
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