Où sont les rêves de jeunesse ? (Seishun no yume imaizuko) – de Yasujiro Ozu – 1932
Encore une merveille signée Ozu, mais cette fois sur un ton de comédie, plutôt rare dans la filmographie du grand cinéaste japonais. Les thèmes qu’il aborde à cette période de sa carrière sont bien là : la filiation, la difficulté de trouver sa place dans une société en crise, le Japon entre tradition et modernité inspirée de l’Occident…
Il y a bien un peu de cette amertume que rencontrent souvent ses personnages, obligés de confronter leurs rêves de jeunesse aux réalités de la société (voir le magnifique Le Fils unique, par exemple). Mais l’amertume est cette fois un passage obligé vers un avenir conforme à ce que les personnages attendent. Ozu, ici, se montre volontiers potache (les tricheries durant l’examen) et léger, à défaut d’être insouciant.
Optimisme, légèreté et humour… Un cocktail auquel Ozu apporte une belle vivacité, avec une mise en scène d’une précision, d’une fluidité et d’une intelligence hors du commun. Comme Une femme de Tokyo, l’édition du film que propose Carlotta est vierge de tout accompagnement musical, et ce silence total souligne l’extraordinaire dynamisme de cette mise en scène parfaitement maîtrisée.
On y retrouve aussi l’influence, très présente avant guerre chez Ozu, du cinéma américain, à travers des affiches de film, et surtout un mode de vie que les jeunes personnages s’approprient avec délectation : des bières bues dans une réplique d’un café hawaïen, des étudiants en tee-shirts… Visiblement fasciné par cette imagerie qui rompt avec les vieilles traditions, Ozu confronte cette jeunesse américanisée aux traditions que représente une vieille baronne, dans une scène inspirée par le burlesque, au cours de laquelle notre héros repousse sans ménagement les avances d’une jeune et belle héritière…
Ce nouveau mode de vie, c’est le symbole de l’insouciance de la vie estudiantine, que le jeune héros doit quitter pour reprendre les rênes de l’usine familiale à la mort de son père. Cette insouciance qu’il cherchera à retrouver, en embauchant ses anciens camarades, puis en retrouvant une jeune serveuse qu’il a connue au lycée. Mais peut-il retrouver ce qui n’existe plus ? Etudiants, ils étaient tous égaux : l’héritier sûr de lui et insouciant comme l’orphelin bosseur et conscient que son avenir dépend de son diplôme. Mais dans la vraie vie, l’un est patron, l’autre est employé.
Tous finiront par se retrouver (autour d’un autre symbole américain : le base ball). Mais entre-temps, Ozu aura retrouvé sa veine tragique et critique lors d’une séquence déchirante, montrant la colère et l’incompréhension du jeune patron face à son ami, totalement soumis et asservi, prêt à sacrifier celle qu’il aime pour ne pas perdre ce travail dont dépend sa vie. Une parenthèse bouleversante dans un film qui, tout de même, met du baume au cœur.
• Le film fait partie de l’indispensable coffret de 14 films que Carlotta vient de consacrer à Ozu, avec de nombreux bonus : des analyses de plusieurs films, des documentaires, et même deux courts métrages tournés par le cinéaste dans les années 30.
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