Coups de feu sur Broadway (Bullets over Broadway) – de Woody Allen – 1994
La Prohibition réussit bien à Woody Allen, qui signe une comédie noire et grinçante sur les affres de la création, un thème qui lui est cher. Entièrement basé dans les coulisses de Broadway, le film part d’une idée assez géniale… qui cède bientôt le pas à une autre idée originale, plus passionnante encore.
La première, d’abord. Un jeune auteur de théâtre dont le talent est respecté, mais qui n’a jamais connu le succès (joué par John Cusack, alter ego rajeuni de Woody Allen), peine à monter sa dernière pièce. Son agent trouve un financeur miraculeux : un patron de la pègre qui n’accepte de payer qu’à condition que l’un des rôles reviennent à sa maîtresse, une danseuse de revue à la voix stridante et complètement con.
Cet point de départ pourrait suffire, mais Woody Allen va beaucoup plus loin qu’une simple comédie de situation. La nunuche est chaperonnée par un homme de main du mafieux, brute mal dégrossie (interprété par Chazz Palminteri, qu’on venait de découvrir grâce à Il était une fois le Bronx, l’adaptation de sa propre pièce) qui révèle bientôt des dons d’auteur inattendus, qui ne cessent d’améliorer la pièce…
Le film est drôle, très drôle même avec quelques dialogues aux petits oignons comme Woody sait les ciseler : « J’ai pas bu depuis le Nouvel An – Oui mais c’était le Nouvel An chinois » ou « Bien arrivé d’Angleterre ? – Il y a cinq ans, mais très bien. » Mais Allen en fait surtout une réflexion curieusement acerbe sur la création et les artistes autoproclamés, dont il se moque ouvertement : « Tu es un génie. La preuve, c’est que ton œuvre est incohérente pour tous. »
Le cinéaste filme des personnages attachants, mais ridicules. Diane Wiest, formidable en diva de la scène, prend constamment des poses inspirées et pseudo-poétiques, et passe son temps à couper l’auteur d’un « Ne dites rien ! Ne dites rien », lorsque la situation devient trop intime et implicante. Dans un petit rôle d’artiste maudit, Rob Reiner (le réalisateur), l’air sentencieux et inspiré, donne LE conseil définitif à un John Cusack en plein doute : « On doit faire… ce qu’on doit faire ».
Finalement, le seul qui semble trouver grâce aux yeux de Woody Allen, c’est Chazz Palminteri lui-même. Le seul artiste véritable serait un tueur sans état d’âme, dont on assiste aux tueries lors de séquences qui semblent sorties des grands films de gangsters que Woody cite volontiers. La reconstitution de l’époque, les costumes… L’aspect visuel est admirable, et le film mélange les genres avec bonheur. Une réussite.
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