Ida (id.) – de Pawel Pawlikowski – 2013
Découvert par un large public (et par moi-même) avec le sublime La Femme du Vème, un film de commande adaptaté d’un roman du populaire Douglas Kennedy dont il a tiré une œuvre profondément personnelle, le Polonais Pawel Pawlikowski n’avait encore jamais tourné dans son pays d’origine. C’est chose faite avec ce Ida, mais les retrouvailles n’ont rien de chaleureuses : avec ce très beau film tourné dans un noir et blanc dépouillé, le cinéaste plonge dans les tréfonds du traumatisme polonais de la deuxième guerre mondiale.
Au début des années 60, une apprentie nonne sur le point de prononcer ses vœux part sur les traces de son mystérieux passé : comment ses parents sont-ils morts durant la guerre ? où leurs corps sont-ils enterrés ? pourquoi sa tante, magistrate alcoolique, ne lui a-t-elle jamais rendu visite ? C’est avec elle, dernier membre vivant de sa famille, que la jeune Ida part sur les routes, découvrant pour la première fois la vie extérieure.
Ida la pieuse et sa tante la débauchée n’ont apparemment rien en commun. Elles sont pourtant le fruit d’un traumatisme abyssal auquel la société polonaise de ces années-là semble refuser de faire face, privées toutes deux de leur âme. La jeune femme, enfermée dans un couvent catholique depuis son plus jeune âge, découvre qu’elle est née juive, et que ses parents ont été tués par des paysans qui les ont cachés des Nazis jusqu’à ce qu’ils représentent un risque trop grand pour leur propre survie.
Ce que cette quête met en valeur, ce sont les horreurs que, quinze ans plus tard, ces Polonais portent en eux comme un fardeau inépuisable. D’une beauté éthérée, comme le visage de la jeune Agata Trzebuchowska. Mais aussi d’une beauté troublante dissimulant mal une profonde douleur, comme celui de Agata Kulesza.
Le film de Pawlikowski ne condamne jamais ces habitants lambda qui, pour survivre, se sont transformés en monstre. Mais il amène tous ses personnages à ouvrir les yeux sur le monde, et sur ce qu’ils sont, à tomber le voile qui faisait mine de les protéger. Certains n’y survivront pas. D’autres pourront affronter la vie, conscients de leur fardeau. Le dernier plan, sublime (qui renvoie étrangement à l’hypnotique première image du Cheval de Turin) illustre parfaitement cette ambiguïté d’un personnage condamné, mais libéré.