Le Dernier des Mohicans (The Last of the Mohicans) – de Maurice Tourneur et Clarence Brown – 1920
De toutes les adaptations du roman de Fenimore Cooper, celle-ci est sans doute la plus belle (avec celle de Michael Mann peut-être), un chef d’œuvre du muet que Tourneur co-réalise avec son associé de longue date Clarence Brown, sans doute chargé de la deuxième équipe. Deux grands noms au service d’une grande histoire de la culture populaire…
Sur fond de guerre entre les Anglais et les Français, dans l’Amérique de 1757, c’est une histoire d’amour impossible entre une blanche et un Indien. Trente ans avant la révolution de La Flèche brisée. La fille d’un officier britannique et le fils d’un chef Mohican se découvrent et tombent amoureux malgré le monde qui les sépare, et la violence qui les entoure.
Tourné en 1920, le film surprend aujourd’hui encore par sa modernité et son audace. Pour l’histoire d’amour bien sûr, mais aussi pour la manière d’appréhender la violence, filmée sans l’habituel fard hollywoodien. Tourneur filme notamment une longue séquence de massacre sans rien nous épargner : ni la sauvagerie des assaillants, ni les femmes tuées à coup de hache, ni même un bébé jeté comme un vulgaire sac… Plus inconcevable encore, dans un film américain (d’aujourd’hui en tout cas) : la violence touche même les animaux, avec un cheval tombé sous les flèches…
Tourneur signe aussi l’une des plus belles mises en scène de sa carrière. Jouant constamment de la profondeur de champ, il souligne l’inquiétante beauté de ses magnifiques décors naturels, qui semblent peser comme une sourde menace sur les personnages, parfois filmés comme de simples silhouettes au loin, cernées par le danger.
L’exceptionnel sens du cadre de Tourneur est éclatant, tout comme le soin qu’il apporte à l’éclairage, qui a fait sa réputation à Hollywood, où il était alors considéré comme l’un des plus grands cinéastes en activité (ce qu’on a un peu vite oublié en France). La lumière est ici tamisée par les arbres, la pluie ou les nuages. Elle met en valeur les visages, et surtout les regards, des personnages, notamment dans de belles scènes d’attente, entre deux accès de violence.
Dans le rôle du grand méchant, l’Indien traître par qui le malheur arrivera, Wallace Beery est assez formidable. Loin, très loin, de son habituel emploi de costaud au grand cœur, notamment dans d’innombrables films de catch (Flesh de John Ford, pour ne citer que le plus recommandable), il est effrayant, figure inoubliable de ce chef d’œuvre dur et inspiré.
• Le film fait partie du coffret « Hommage à Maurice Tourneur », consacré à la période muette du cinéaste, édité par Bach Films. Avec une belle image qui permet de réaliser la beauté des images de Tourneur. Fait plutôt rare chez cet éditeur, la musique d’accompagnement est une partition qui suit et souligne véritablement l’action du film, et pas une simple bande son collée au hasard sur l’image. Avec, en bonus, une présentation passionnée par Patrick Brion.
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