Le Secret du bonheur / Victoire (Victory) – de Maurice Tourneur – 1919
Victory est l’unique adaptation d’un roman de Joseph Conrad que le romancier ait pu voir. Tous les autres films inspirés de son œuvre, de Agent secret à Apocalypse Now en passant par Lord Jim et pas mal d’autres, ont été tournés des années après sa mort. La première rencontre entre le romancier et le cinéma est un coup de maître. Un peu naïf sur le papier, un peu improbable dans son propos, le film est constamment tiré vers le haut par le talent de Maurice Tourneur, et la force de sa mise en scène.
C’est l’histoire d’un oisif solitaire, qui vit en reclus (avec un serviteur quand même, on a un standing ou on n’en a pas…) dans une île déserte et paradisiaque, désireux de vivre selon les préceptes d’un père qui a écrit dans un livre qu’il lit et relit à longueur de journée que le secret du bonheur était de vivre en évitant tout contact avec la société, sans aimer qui que ce soit, et sans avoir à tuer qui que ce soit… Bien sûr, à l’occasion d’un séjour dans la société, c’est l’amour et la mort qu’il rencontrera.
Ce qui frappe surtout dans ce film, c’est la violence avec laquelle le personnage principal d’Axel Heyst (Jack Holt) découvre les rapports humains dans ce qu’ils ont de plus extrêmes. L’histoire d’amour est charmante, mais elle n’existe qu’en réaction aux accès de violence, dont certains sont franchement glaçants. Une petite musicienne ballottée entre des employeurs tyranniques et un logeur libidineux, un trio de louches aventuriers vivant de meurtres et de vols… et deux scènes d’exécution (dont une en flash-back) qui se répondent avec une brutalité rare, les visages des victimes étant plongés dans des brasiers…
Dans le rôle, secondaire, de l’un de ces bandits, Lon Chaney vampe la caméra. Dans le rôle de Ricardo, un second couteau (au sens propre), il vole sans peine la vedette à des acteurs principaux que, d’ailleurs, l’histoire a plongé dans l’anonymat. En 1919, Lon Chaney n’est pas encore une star, mais il a déjà une solide réputation de second rôle capable d’adopter n’importe quel maquillage. Ici, il n’aborde qu’une petite moustache et un look hispanique, mais il a une présence réellement magnétique qui est le signe d’un immense acteur de cinéma.
• Le film fait partie du coffret « Hommage à Maurice Tourneur » consacré à la période muette hollywoodienne du cinéaste, et édité par Bach Films. Avec une qualité d’image disons acceptable, et une présentation érudite de Roland Lacourbe.
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