The County Fair (id.) – de Maurice Tourneur – 1920
Charmante romance adaptée d’une pièce à succès de Neil Burgess, visiblement très en vogue au début du 20ème siècle, ce muet de Maurice Tourneur se situe dans une petite ville de l’Amérique profonde où la modernité arrive doucement, mais qui ressemble encore énormément aux petites villes du 19ème. Une Amérique déjà d’un autre temps, mais que Tourneur filme comme un paradis sur le point d’être perdu : les rares signes de modernité, en l’occurrence l’apparition d’automobiles entre les mains des riches notables détestables, sont montrés comme des menaces.
C’est un feel-good movie que signe Tourneur, avec cette double histoire d’amours menacées, mais on imagine dès le départ qu’elles finiront bien : une jeune femme et sa tante vieillissante, qui attendent désespérément qu’un petit ouvrier agricole et un petit homme jovial et timide les demandent en mariage, mais qu’un riche propriétaire et son fils convoitent, menaçant de les expulser de leur ferme si elles n’acceptent pas de les épouser.
Il y a quelque chose de la lutte des classes que met en scène Tourneur avec ces deux triangles amoureux. Trois, même, si l’on compte la romance contrariée de ce gamin qui tente de séduire une jeune fille, qui le laisse en plan pour roucouler avec un autre gosse qui, lui, peut lui payer la limonade dont elle a envie. Pas d’angélisme ni de naïveté, d’ailleurs : si les couples heureux finissent par se former, c’est grâce à cet argent qui leur manquait tant, et qui finit par arriver grâce au jeu.
Outre le rythme du film, sans le moindre temps mort, Tourneur excelle à rendre vivante cette communauté, en multipliant les petites détails, souvent anodins, qui donnent une matière incroyable au moindre second rôle. Les gestes quotidiens de Sally à la ferme, les rêveries d’un gamin à l’église, les paroissiens qui déposent leurs cigares sur une barrière pour les retrouver après l’office… Ce film en apparence très léger trouve toute sa valeur dans ces détails qui en font une œuvre plutôt délicate et sensible.
• Le film fait partie du coffre « Hommage à Maurice Tourneur » édité chez Bach Films, avec une image d’une qualité hélas très discutable.