Haute société (Our betters) – de George Cukor – 1933
Un an après What price Hollywood ?, Cukor retrouve l’une de ses comédiennes de prédilection, Constance Bennett, pour un sommet de la comédie américaine de ce début des années 30. Tourné quelques mois avant l’entrée en vigueur du fameux Code Hayes, le film est d’une cruauté et d’une liberté de ton qui appartiennent définitivement à cette parenthèse hollywoodienne.
Cette critique acerbe et sans la moindre concession de la haute société anglo-américaine (les personnages, d’origine américaine pour la plupart, vivent à Londres, signe de l’universalité de ces codes), le film met en scène une héroïne qui est une manipulatrice entourée d’hypocrites. Déçue après un mariage qu’elle croyait d’amour, elle est devenue le symbole de cette société cynique. Une femme entretenue par un riche homme d’affaires dont elle profite, et qui pousse son innocente jeune sœur (Anita Louise, seule comédienne peu crédible, qui déclame étrangement son texte) à privilégier un mariage de raison. Une femme, aussi, que l’on voit céder à des désirs purement sexuels, avec le jeune amant de sa « meilleure amie ».
Le genre de scènes que l’on ne verra plus dans le cinéma américain pendant des décennies… Et ce n’est pas tout : outre l’adultère, la passion charnelle (et sans sentiment), les relations entre une « dame » et un jeune homme qui pourrait être son fils… Cukor filme également un danseur fardé et maniéreux, et évoque même une possible homosexualité féminine.
Mais surtout, Cukor met en scène la mesquinerie et l’incroyable hypocrisie de cette société pour laquelle ne comptent que l’apparence et la légèreté. Une scène, glaçante, résume parfaitement cet état d’esprit : un aveu lancé par Constance Bennett comme une boutade, qui touche au cœur la moitié des protagonistes qui n’en montrent rien, préférant se lancer tous ensemble dans un grand éclat de rire qui ne trompe personne. Mais les apparences sont sauves.
Adapté d’une nouvelle de Somerset Maugham, le film n’édulcore rien. Son héroïne, loin de se racheter (malgré un bref moment de pureté retrouvée), joue jusqu’au bout son impitoyable partition. Mais Cukor filme Constance Bennett comme il sait filmer les femmes : mieux que personne, en magnifiant ses qualités comme ses défauts, soulignant ses contradictions, sa détermination et ses regrets.
Sa manière de prononcer « perhaps » au téléphone à celui qui veut devenir son amant, une cigarette se consumant à la main, la pose glamour, le regard plein de promesses… Dans ce plan magnifique, Cukor semble tout dire de son héroïne : manipulatrice, enfantine, déterminée et surtout libre. Une femme passionnée, pleine d’envies et de vie.
• Collection RKO chez les Editions Montparnasse, avec une présentation par Serge Bromberg.