Crimes et délits (Crimes and Misdemeanors) – de Woody Allen – 1989
« Où j’ai grandi, à Brooklyn, personne ne se suicidait. On était trop malheureux. »
Woody Allen confirme son goût pour Hitchcock dans ce film qui rend un hommage évident au maître du suspense, à travers l’histoire d’un homme à qui tout réussit qui décide de faire éliminer son encombrante maîtresse. L’histoire, le milieu dans lequel elle se déroule, et le ton du film, évoquent notamment Le crime était presque parfait.
Le cinéaste, d’ailleurs, cite ses influences, comme toujours : en donnant le rôle principal à Martin Landau, acteur marqué à jamais par sa participation à La Mort aux trousses. Et puis lorsqu’on découvre pour la première fois le personnage joué par Woody lui-même, c’est dans une salle de cinéma qui projette Mr. and Mrs. Smith, comédie d’Hitchcock consacrée au couple.
Une manière cinéphile et brillante de résumer en quelques séquences seulement la richesse de ce film : film à suspense sur les errances qui poussent au crime et sur la culpabilité, mais aussi réflexion sur le couple, les rêves et le temps qui passe. Du pur Woody Allen dans le texte, qui nous offre quelques dialogues formidables (« C’est toi qui as arrêté de vouloir faire l’amour. Ça fera un an le 20 avril. Je m’en souviens, car c’est l’anniversaire d’Hitler. »), mais qui se livre cette fois sur un mode doux-amer.
Crimes et délits est une nouvelle merveille, marquée par cette conscience du temps qui passe. Woody Allen a passé la cinquantaine, et sa maturité prend des allures inattendues : sa vision de la vie, sa passion, sa façon d’aborder chaque chose sans calcul se heurtent à la réalité de la vie, aux mesquineries et aux faux-semblants qui l’entourent. De la même manière que la vie parfaitement protégée du riche professeur interprété par Martin Landau se heurte de manière brutale à la réalité incarnée par son frère, raté aux fréquentations douteuses.
Et finalement, c’est à Chaplin que Woody ressemble : au vagabond du Cirque qui offre son cœur sans espérer rien en retour, et qui se retrouve seul lorsque la belle écuyère part avec le beau dompteur. Comme lui reste seul lorsque sa belle Mia Farrow part avec ce bellâtre fat et un peu ridicule, joué par Alan Alda. Et comme Charlot, Woody refuse de se laisser engloutir par la tristesse, qu’il combat avec sa meilleure arme : son humour. C’est dans ce film qu’il sort l’une de ses répliques les plus célèbres : « La dernière femme que j’ai pénétrée, c’était la statue de la liberté. »
Allen a trouvé un équilibre assez miraculeux entre ses deux histoires parallèles aux sujets pourtant radicalement différents (un crime et ses conséquences, et une étude de mœurs drôle et touchante), qui aboutissent à une rencontre tardive entre les deux personnages centraux, sorte de parenthèse en dehors du temps et de l’effervescence de ce qui les entoure. Un moment rare de cinéma.
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