Le Brigand bien-aimé (Jesse James) – de Henry King – 1939
1939 est une année miraculeuse pour le western. Artistiquement mort depuis la fin du muet, le genre se limitait jusqu’alors à une interminable série de nanars pour la plupart sans la moindre ambition. Et puis cette année-là, une poignée de grands cinéastes offrent au western une nouvelle jeunesse, et en font l’un des genres majeurs du cinéma américain, ce qu’il ne cessera plus d’être dans les quinze années qui viennent : c’est l’année du Stagecoach de John Ford bien sûr, mais aussi de Pacific Express de Cecil B. De Mille, et de ce Jesse James signé par un Henry King très inspiré.
Ce modèle de western revisite le mythe du célèbre brigand. Le film de King évite tout angélisme, mais c’est un anti-héros romantique et profondément américain qu’il filme ici. C’est aussi, et surtout, l’histoire d’amour entre le plus célèbre des bandits, et l’Amérique. Il y a quelque chose du Tom Joad des Raisins de la colère dans ce personnage victime de son époque, mais qui sait aussi saisir les opportunités d’un pays qui est à la fois une terre d’accueil et un environnement impitoyable.
« Si la légende est plus belle que l’histoire, imprimez la légende » pourrait être l’épitaphe de ce chef d’œuvre, qui annonce par bien des aspects L’Homme qui tua Liberty Valance. Et pas seulement parce qu’on y retrouve un personnage très semblable de journaliste fort en gueule.
Le film de King, comme plus tard celui de Ford, évoque un pays sauvage sur le point de laisser la place à la civilisation et à l’ordre. Il parle d’un pays qui avance dans son histoire, du progrès en marche et de ses victimes. En l’occurrence, celles du chemin de fer, souvent montré dans les westerns comme le grand œuvre qui a unifié l’Amérique, mais dont King montre le sombre revers avec beaucoup plus de cynisme.
Dès les premières images, la cruauté de ce progrès que personne n’arrêtera apparaît, avec le génial Brian Donlevy, agent sans scrupule chargé d’exproprier à moindre coût, et en utilisant n’importe quels moyens, les fermiers installés sur le tracé de la future voie ferrée. La famille de Jesse James est de ceux-là. C’est le début d’un engrenage fatal. Jesse James (Tyrone Power) et son frère Frank (Henry Fonda, en retrait), qui ont résisté, sont obligés de fuir, leur mère (Jane Darwell, qui sera justement celle de Tom Joad dans le film de Ford l’année suivante), est tuée, et les deux frères deviennent vite les hors-la-loi les plus recherchés du pays.
A grands coups d’ellipses magnifiques, le film retrace un parcours de dix années marquées par la violence et la tragédie, par des rencontres avec des hommes sans morale et sans courage (Donald Meek, et John Carradine en Bob Ford) et quelques belles relations qui illustrent ce qui aurait pu être dans un meilleur monde : une femme belle et aimante, une famille à peine esquissée, un shérif bienveillant (Randolph Scott) qui entame avec Jesse James une relation à la De Niro/Pacino dans Heat.
Quant à la mise en scène de King, elle est absolument magnifique. Aussi inspiré dans les passages intimes que dans les spectaculaires morceaux de bravoure (notamment une fuite à cheval, au sommet d’une falaise), le cinéaste fait plus que redonner ses lettres de noblesse au western : il en signe l’un des grands chef d’œuvre.
Le succès du film incitera les producteurs à lancer une suite dès l’année suivante : ce sera Le Retour de Frank James, toujours avec Henry Fonda, John Carradine, Donald Meek et quelques autres, qui sera le premier des trois westerns réalisés par Fritz Lang.
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