La Dame du Lac (Lady in the Lake) – de Robert Montgomery – 1947
Trois ans après Dick Powell dans Adieu ma belle, et surtout un an après Humphrey Bogart dans Le Grand Sommeil, le personnage de Philip Marlowe est une véritable icône à Hollywood. Nouvelle adaptation de l’œuvre de Raymond Chandler, La Dame du Lac a à peu près tous les ingrédients d’un grand film noir. Une intrigue complexe et sordide, qui pousse à se méfier du moindre second rôle, des dialogues réjouissants plein de sous-entendus (« J’ai compris : je ne dois pas tomber amoureux de vous, et je dois rester loin de Lavery. » immédiatement suivi… d’une visite chez Lavery), et un personnage dur et charismatique…
Sauf que cette fois, c’est Robert Montgomery qui se glisse dans l’imperméable du célèbre privé. Acteur aussi à l’aise dans la comédie (il n’a pas souvent l’occasion de le rappeler ici) que dans le noir, Montgomery est une figure attachante du cinéma américain, depuis le début du parlant, dont la plupart des films sont tombés dans l’oubli : on se souvient surtout de Mr and Mrs Smith, l’un des films américains les plus méconnus de Hitchcock.
Après la guerre, Montgomery se fait plus discret sur grand écran, mais est tenté par une carrière de réalisateur, qu’il inaugure en co-signant avec John Ford l’excellent film de guerre Les Sacrifiés, dont il tient l’un des rôles principaux avec John Wayne. La Dame du Lac, son film suivant, reste toutefois son fait d’armes le plus marquant, qui souligne bien l’ambition du jeune réalisateur.
L’ambition, et la limite. Car ce film, connu avant tout pour être l’une des rares tentatives de cinéma en caméra subjective, est cruellement marqué par les limites, vite atteintes, du procédé. En cherchant à nous mettre dans la peau du héros (c’était d’ailleurs au cœur de la promo du film, à l’époque de sa sortie : « menez l’enquête et découvrez le coupable avec Philip Marlowe »), Montgomery atteint exactement l’effet inverse.
A l’exception d’un long plan inaugural sur un Marlowe-Montgomery bizarrement raide et inexpressif, tout est filmé par une caméra qui ne nous montre que ce que le détective est censé voir. L’acteur-réalisateur est donc quasiment absent de l’image : seuls quelques reflets dans des miroirs nous permettent de le voir. Pourquoi pas… Mais le procédé nous prive totalement des expressions de Marlowe, et donc de toute possibilité de s’identifier à lui.
C’est toute la limite de cette caméra subjective, qui ne sera utilisée qu’à de très rares occasion, et quasiment jamais tout au long d’un film. Cinéaste sans doute trop peu expérimentés, Montgomery n’arrive jamais à donner du rythme à son histoire, pourtant très intrigantes.
Il y a quand même quelques beaux moments bien tendus : le face-à-face avec le flic interprété par Lloyd Nolan (acteur qui tournera jusque dans les années 90 : il terminera sa carrière avec un beau rôle dans Hannah et ses sœurs de Woody Allen) est particulièrement réussi, et parfaitement tendu.
Le film est aussi porté par un très beau personnage de femme : celui d’Adrienne, trouble et inquiétante, dont les apparences de femme fatale et manipulatrice cache un profond mal-être.