Le Salaire de la peur – de Henri-Georges Clouzot – 1953
Palme d’Or, Lion d’Or… Le Salaire de la peur est l’un des monuments du cinéma français des années 50. Pourtant, c’est dans une version largement tronquée que les Etats-Unis l’ont découvert lors de sa sortie, version se limitant au voyage à hauts risques de quatre paumés qui acceptent de convoyer une cargaison de nitroglycérine sur les pistes à peine aménagées d’un pays d’Amérique du Sud, seule solution d’éteindre un puits de pétrole en flammes.
Le Salaire de la peur ne se limite pourtant pas à ce voyage à très hauts risques, certes ébouriffant, qui associe merveilleusement le suspens pur et les portraits intimes et complexes d’êtres dont on ignore tout du passé, mais dont les fêlures et les souffrances se révèlent de plus en plus précisément alors que leur voyage paraît de plus en plus sans retour.
Mais la première partie est tout aussi réussie et d’une richesse incroyable, donnant une autre dimension à cette histoire qui se déroule dans un pays qui n’est jamais nommé, mais où se retrouvent des laissés pour compte venus du monde entier. Des hommes au passé pesant et trouble (et jamais explicité), mais qu’une mauvaise passe a conduits dans cet entre-deux où le passé est tellement présent, mais où le futur semble inexistant.
Clouzot décrit d’une manière extraordinaire ce microcosme poisseux et tragique. Qui est aussi un lieu où les barrières n’existent plus, si ce n’est celle de l’ailleurs : le monde semble ne plus exister hors de ce pays poussiéreux et brûlant.
Aucune allusion, d’ailleurs, à un contexte géopolitique international. Pourtant, le film s’inscrit dans son époque : il décrit une misère dont on parlait beaucoup à l’époque en France (l’hiver 54 n’est pas loin), mais en n’en évoquant que les effets, à travers des portraits d’hommes passionnants.
D’autant plus passionnants qu’ils sont débarrassés de leurs histoires, se résumant à leurs actes, à leurs rêves, à leurs peurs. Se rattachant au peu qu’ils ont : un ticket de métro bien inutile, une amitié qui ne repose que sur des souvenirs communs…
Yves Montand trouve son premier rôle important. Charles Vanel est extraordinaire, affichant une superbe bien illusoire, et dissimulant de plus en plus difficilement une peur viscérale : de l’avenir, de la nitro… Vera Clouzot est fascinante, sensuelle et triste à la fois : sa première apparition est inoubliable, sous le regard concupiscent de Montand.
Clouzot installe une tension exceptionnelle tout au long du film, qu’il parsème de moments d’anthologies : le regard de Montand alors qu’il se dirige droit vers son pote Vanel coincé dans son bain de pétrole ; cette allumette soufflée par un vent de mort au moment où on s’y attend le moins ; et cette dernière image, glaciale, traumatisante, inoubliable…
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