La Fille de Ryan (Ryan’s daughter) – de David Lean – 1970
Après une série de grands classiques, David Lean signe un nouveau chef-d’œuvre. Beaucoup plus méconnu que Lawrence d’Arabie ou Docteur Jivago, La Fille de Ryan relève pourtant de la même ambition : réaliser un grand film romanesque et intime à la fois, dans un pays déchiré par l’histoire en marche. Le résultat : une transposition à peine voilée de Madame Bovary, et l’un des films les plus beaux, les plus forts, sur l’Irlande des années 10.
Comme dans tous ses films, le lieu joue un rôle majeur. En l’occurrence, une petite ville de la côte irlandaise, sous domination anglaise, durant la Grande Guerre. On est loin de Dublin, où des affrontements sanglants se multiplient pour l’Indépendance. On est loin aussi du conflit qui fait rage sur le continent. De ces combats, on ne verra rien, mais ils sont pourtant omniprésents, pesant sur les habitants de cette terre déchirée (dans tous les sens du terme) et éloignée de tout, dont Lean signe un portrait formidable.
Les paysages, austères et magnifiques à la fois, romantiques et dangereux, donnent le ton du film. Son village est un lieu désœuvré, qui se cherche un héros. Coupés du monde et de ses enjeux, les villageois vivent repliés sur eux-mêmes. Ils ne se réveilleront que lorsqu’un leader indépendantiste choisira leur plage pour récupérer des armes destinées aux rebelles. Cela se passe lors d’une journée de tempête hyper spectaculaire, que Lean a mis plusieurs mois à tourner. Il y met en scène une unité soudaine qui s’improvise d’une manière totalement romantique face aux éléments. C’est magnifique, fulgurant et tragique à la fois.
La Fille de Ryan est aussi un film intime, peuplé de personnages fascinants : celui du prêtre (imposant Trevor Howard, à mille lieues de Brève rencontre) ; ou celui, bouleversant, de Michael « l’idiot du village » interprété par John Mills, visage grotesque et corps déformé, présence omniprésente qui se révèle le plus conscient des drames qui se nouent). C’est aussi une belle et complexe histoire d’amour.
Une jeune villageoise tombe amoureuse d’un homme plus âgé que lui qu’elle épouse, mais qui réalise vite qu’il lui manque quelque chose. Lean filme le couple constamment séparé par quelque chose : une porte, une chemise, ou simplement de la musique trop forte… Ce quelque chose qui lui manque, elle le trouve auprès d’un officier anglais en garnison, avec qui elle vit une passion sulgurante. Devant la caméra de Lean, tout disparaît autour d’eux : le décor s’efface, pour ne laisser la place qu’aux deux corps qui s’enlacent…
Dans le rôle principal, Sarah Miles est une belle héroïne romantique, emportée par le souffle de son époque. Dans celui de son mari, Robert Mitchum trouve l’un de ses très grands rôles. S’il est un film qui prouve définitivement que la star n’est pas le je-m’en-foutiste qu’il affirmait être, c’est bien celui-là. Son interprétation de cet instit effacé et trop doux, est absolument magnifique.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.