La Règle du Jeu – de Jean Renoir – 1939
Après La Bête humaine, La Marseillaise et La Grande Illusion, qui représentaient en quelque sorte le sommet de sa carrière, en tout cas en terme d’influence et de popularité, Jean Renoir voulait revenir à un cinéma plus modeste, et tourner un film indépendant et personnel, ancré dans ses références culturelles classiques. Le résultat est ce chef d’œuvre absolu, peut-être son meilleur film, une œuvre naturaliste et cynique dont le ton s’inspire de Marivaux, qui fut massacrée par à peu près tout le monde à sa sortie.
Ce sera le plus gros échec de sa carrière. Boudé par le public, détruit par la critique, La Règle du jeu sera d’ailleurs remonté par Renoir, qui espérait donner une autre chance à son film, et que cet accueil terrible marquera longtemps. A tel point que la version quasi-originale ne sera visible que des décennies plus tard.
La Règle du jeu a les apparences d’une comédie de mœurs débridée, et même complètement folle, qui culmine lors d’une fête de chasse dont le rythme évoque les grands films burlesques muets. Renoir y met en scène une galerie de personnages irrésistibles : lui-même en meilleur ami désargenté et désintéressé, dont le déguisement d’ours reste l’une des images les plus mémorables du film ; Carette, dans un rôle truculent taillé sur mesure pour lui ; ou encore les formidables Toutain, Modot et Dalio, encore quasiment inconnus à l’époque.
C’était une volonté de Renoir : tourner en indépendant, sans grande star. C’est pourquoi il a remplacé Simone Simon par Nora Gregor, pour le personnage féminin principal.
Mais derrière l’apparente légèreté, Renoir signe une terrible critique d’une certaine société bourgeoise en pleine déliquescence en cette fin des années 30, qui se complait dans des privilèges d’un autre temps et dont les préoccupations sont totalement coupées du monde, à l’image de ce château où ils se retrouvent pour une semaine de chasse où les différences de classe rappellent les grandes seigneuries d’antan.
C’est ce qui est particulièrement frappant dans La Règle du jeu : à quel point le film s’inscrit dans son époque, sans rien montrer du contexte politique et historique de 1939. Coupés du monde, ces bourgeois mesquins se trahissent, se détestent, se trompent, se mentent, s’insultent… mais se pardonnent tout avec le sourire, sous le couvert de la courtoisie et de la bienséance. Et avec une franchise désarmante qui les rend tellement sympathiques et attachants, dans leurs jeux et dans leurs souffrances.
Mais c’est une société condamnée que Renoir filme. Imperceptiblement, et inexorablement, le vernis se fissure. Cette partie de chasse se conclut par une tragédie annoncée. Et à la fin, de cette belle société protégée de tout et aveugle à tout, il ne reste que des ombres projetées sur des pierres froides. Une image qui annonce des jours bien sombres… Seuls les deux personnages les plus désargentés semblent s’en rendre compte.
Deux mois après la sortie du film, la guerre était déclarée…
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