Crime passionnel (Fallen Angel) – d’Otto Preminger – 1945
Crime passionnel a souvent été comparé avec Laura, le précédent film de Preminger, tourné quelques mois seulement avant avec le même acteur (Dana Andrews), le même chef-opérateur (Joseph LaShelle) et le même compositeur (Bernard Herrmann).
Mais ce nouveau film noir se démarque très nettement du film précédent. L’une des spécificités, qui peut paraître anecdotique mais qui ne l’est pas, c’est le décor : l’ambiance n’est pas urbaine cette fois, l’intrigue se déroulant dans une petite ville de province, en bord de mer, qui se résume à l’écran à un petit bar et une poignée de lieux clés.
Preminger joue avec les codes du film noir, avec ce loser pas vraiment magnifique qui tombe sous la coupe d’une femme fatale, jouée par Linda Darnell, dans un nouveau rôle de garce manipulatrice. Mais une manipulatrice de bas étage : il y a dans la femme fatale comme dans le « héros » du film une médiocrité étonnante. Elle n’est finalement qu’une paumée un peu salope sur les bords prête à coucher à quiconque lui apportera une bague au doigt et un foyer.
Lui se définit lui-même comme un raté, un type plein d’idées foireuses et sans le sou, prêt à tout pour un mariage qu’il sait condamné d’avance. Prêt à tout, même à séduire une jeune femme pleine de principe, et à l’épouser, dans le seul but de mettre la main sur son argent.
Il y a quelque chose de fascinant dans la manière qu’a Preminger de filmer la médiocrité de Dana Andrews. Cynique lorsqu’il met ses talents de beau parleur au service d’un « médium » qui affirme communiquer avec les proches disparus des habitants (un joli rôle pour John Carradine). Perdant tout amour-propre lorsqu’il cède à son attirance purement physique pour Linda Darnell : un désir qui vaut à Preminger un plan sublime, les visages des deux acteurs qui envahissent littéralement l’écran pour un premier baiser baigné d’ombre et ouvertement sexuel.
Immense, Dana Andrews ose jouer le minable détestable sans jamais rien faire pour tenter de rendre son personnage plus sympathique qu’il ne l’est. Pathétique, perdu, odieux, il est omniprésent ou presque dans ce film magnifiquement réalisé. Les sublimes travellings et la caméra qui semble envelopper les comédiens, dans des décors particulièrement réussis, créent une intimité presque dérangeante, et souligne le mal-être de ces personnages qui n’attendent plus grand-chose, se raccrochant à ce qu’ils ont, à ce qu’ils veulent, ou à ce qu’ils croient avoir.
Entre Laura et Mark Dixon détective, Crime passionnel est un jalon méconnu, mais majeur, de la collaboration entre Dana Andrews et Otto Preminger.