Adieu ma jolie / Adieu ma belle / Le Crime vient à la fin (Murder my sweet) – de Edward Dmytryk – 1944
Deux avant Bogie dans l’immense Le Grand Sommeil, c’est Dick Powell qui coiffe le feutre de Philip Marlowe, grand détective imaginé par Raymond Chandler, porté sur l’alcool et les femmes, et qui a le don de mêler d’affaires d’une complexité abyssale. Adieu ma jolie n’est pas tout à fait aussi opaque que le chef d’œuvre de Hawks (qui place la barre très haut, c’est vrai), mais mieux vaut ne pas laisser son attention retomber ne serait-ce que cinq secondes si on veut tout comprendre de cette intrigue hyper retors où les fils s’entremêlent, entre fausses pistes et rebondissements inattendus.
Le héros lui-même ne cache pas qu’il est totalement largué la plupart du temps. C’est d’ailleurs l’une des différences majeures entre le Marlowe de Bogart et celui de Powell : ce dernier est tout aussi dur, mais affiche une vulnérabilité et des faiblesses plus revendiquées. Moins mythique, mais plus humain : on le sent capable d’erreurs, et même d’échecs. La manière dont on le découvre, aveugle, s’inquiétant du sort d’une jeune femme, et soupçonné de meurtres, annonce la couleur.
L’intrigue est hyper complexe ? Qu’importe bien sûr : ce qui compte comme souvent dans les grands films de privé, c’est l’atmosphère, et le pur plaisir de cinéma. Dans le genre, le film de Dmytryk est une immense réussite, un film au rythme incroyable qui n’accorde pas le moindre temps mort. A l’image de Marlowe lui-même, qui enchaîne les séductions – avec la douce (ou à peu près) Anne Shirley et sa belle-mère fatale, Claire Trevor (toutes deux parfaites) – et les coups de poings, de matraques ou de crosses, qu’il se prend dans la tête à longueur de film…
Le scénario est formidable, l’interprétation parfaite, mais c’est aussi (et surtout ?) la mise en scène de Dmytryk qui fait de Murder my sweet l’une des plus grandes réussites du genre. Devant sa caméra, la moindre scène prend une dimension extraordinaire. L’une des premières scènes donne le ton. Marlowe, à moitié dépressif dans la solitude de son bureau plongé dans l’obscurité, laisse aller ses pensées, et voit le visage d’un homme inquiétant se refléter dans sa fenêtre éclairée par l’intermittence d’une enseigne… Une image aussi effrayante que fascinante, qui plonge immédiatement dans un mélange de menace et de mystère.
Il y a aussi une longue séquence au cours de laquelle Marlowe, drogué à son insu, se débat dans des cauchemars et des visions d’angoisse, qui le voient tomber sans fin et lutter en pure perte contre ses démons… Rien de nouveau, sauf que jamais ce genre de visions n’a été aussi efficace qu’ici. Dmytryk fait bien mieux qu’illustrer les maux de son héros : il nous fait partager ses sensations dans un long mouvement terriblement sensoriel. C’est absolument génial.
• Le DVD du film fait partie de la collection bleue RKO des Editions Montparnasse, avec une introduction courte mais particulièrement enthousiaste de Serge Bromberg.
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