Three strangers (id.) – de Jean Negulesco – 1946
Jean Negulesco avait connu un grand succès avec Le Masque de Dimitrios, curieux polar qui reposait en partie sur l’étrange alchimie du couple formé par Peter Lorre et Sydney Greenstreet. Après ce succès, le cinéaste a dirigé le tandem dans deux autres films, moins fameux : Les Conspirateurs et ce Three Strangers, dont le scénario est signé John Huston… lui-même qui avait été le premier à associer l’imposant Greenstreet et son double opposé Lorre, c’était dans Le Faucon maltais évidemment.
Cette fois encore, curieux hasard : c’est une histoire de statuette qui réunit les deux acteurs. En l’occurrence, la statut d’une divinité chinoise, autour de laquelle les trois étrangers du titre se retrouvent le soir du Nouvel An Chinois (à Londres, en 1938) pour un curieux pacte.
Très curieux film, qui commence par cette rencontre pas vraiment impromptue (deux mecs suivent une jeune femme dans la rue en pensant pouvoir passer une bonne soirée, sans doute pas consacrée au macramé) entre trois étrangers qui ne prient l’idôle qu’ils ont face à eux que dans l’espoir de gagner une grosse somme au jeu…
Cette introduction est déjà bien surprenante, mais la suite l’est encore plus. Les trois étrangers ne vont plus se croiser jusqu’à la toute dernière partie. Entre-temps, c’est leur histoire à chacun que l’on va suivre, sans que l’on sache vraiment où le film nous mène. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le chemin est tortueux.
En route, on croise donc une épouse bafouée prête à tout pour garder son mari, un avocat ruiné qui cherche à épouser une riche veuve dont le mari lui parle en esprit, un alcoolique mêlé malgré lui à une affaire de meurtre, un faux major et vrai escroc, une course de chevaux qui passionne toute l’Angleterre…
C’est curieux, et inégal : il y a beaucoup de longueurs, des digressions pas toujours passionnantes, et tous les personnages n’ont pas la même force. Mais il y a aussi quelques moments assez formidables. Les séquences de bar, notamment, sont particulièrement réussies, baignées de l’atmosphère des pubs anglais.
C’est lorsque Negulesco parvient à insuffler une vraie vie à ces (très beaux) décors que le film prend vraiment de l’ampleur. Il y a ainsi un beau passage, avec Peter Lorre et ses « complices » planqués dans les soubassements d’un pont, décor qui semble soudain sorti d’un film de Lang.
La fin, aussi, est très réussie. Tous les drames auxquels on a assisté jusqu’à présent convergent enfin vers un climax parfaitement tendu. Un final qui rappelle aussi Le Faucon maltais : on retrouve les mêmes obsessions, la même soif de l’or, qui tournent autour de cette statuette, et qui mènent au bord de la folie. Ceux qui s’en sortent sont ceux qui savent garder la tête froide…