Angoisse (Experiment Perilous) – de Jacques Tourneur – 1944
Moins connu que ses trois grands classiques du film d’épouvante que sont La Féline, L’Homme léopard, et Vaudou, Angoisse est pourtant l’une des œuvres les plus fascinantes de Tourneur fils, une sorte de lien parfait entre le film d’angoisse et le film noir, autre genre auquel il a donné l’une des plus grandes réussites (Out of the past).
Ni vraiment film d’épouvante, ni vraiment film noir, Angoisse s’inscrit dans une lignée de films qui rencontrent un franc succès au milieu des années 40 : comme le Laura d’Otto Preminger, tourné la même année, le narrateur (ici George Brent, dans le rôle d’un médecin psychanalyste) est fasciné par une femme au cœur d’un mystère qu’il tente de résoudre. Comme dans Le Secret derrière la porte de Fritz Lang (1948), la folie est là, cachée derrière une apparence de normalité, instillant une angoisse sourde au quotidien…
Cette folie est au cœur du film, sans que l’on sache vraiment d’où elle vient. C’est tout le sel de ce film : Tourneur installe une atmosphère dérangeante tout en nous laissant dans l’ombre jusqu’à la dernière partie, et en laissant planer le doute. La jeune et belle Allida est-elle folle, comme son riche mari l’explique au docteur Bailey (Brent) ? Ou la réalité est-elle plus complexe, plus inquiétante ?
La démarche de Tourneur est très loin de celle de ses précédents films d’angoisse, exercices de style d’où émergeaient de purs moments de terreur. Ici, la peur est plus insidieuse, plus discrète, mais tout aussi forte et dérangeante. Elle s’installe par de petites touches discrètes, par de petits détails sans incidences que Tourneur filme sans en avoir l’air. Des rails qui font mine de s’effondrer sous un train lors d’un violent orage, une silhouette qui apparaît dans une rue déserte par une nuit neigeuse, le rideau d’un box de restaurant qui s’agite…
Dans une mise en scène élégante et romanesque, qui évoque les grands films hollywoodiens en costumes (l’histoire se passe en 1903), ces petits détails créent le malaise et soulignent le sentiment d’insécurité. L’interprétation totalement décalée d’Heddy Lamar, tranchant avec le jeu beaucoup plus direct et convenu des autres comédiens, fait également merveille, avec le même effet : renforcer le malaise.
A première vue, tout semble normal dans ce beau film. Mais Tourneur sème des tas de petits signes qui nous réaliser que rien n’est vraiment évident, et que tout peut arriver. A l’image de ce final spectaculaire, qui tranche brutalement avec l’angoisse sourde du film, plongeant littéralement George Brent au cœur de l’explosion d’un immeuble. Les trucages sont simples, mais l’effet est bluffant.
Et qu’importe si la toute dernière scène n’est pas à la hauteur : Angoisse est un film qui porte parfaitement son titre français.
• Encore une merveille à découvrir en DVD dans la collection bleue RKO des éditions Montparnasse, avec une présentation par Serge Bromberg.
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