Assassin sans visage (Follow me quietly) – de Richard Fleischer – 1948
Une heure, pas une minute de plus : c’est ce qu’il faut au jeune Fleischer pour signer la matrice de tous les grands films de serial killer tournés depuis. Don Siegel pour L’Inspecteur Harry, David Fincher pour Seven… Sûr que tous les cinéastes s’étant attelés au genre ont vu et revu cette petite production fauchée de la RKO, et s’en sont inspirés consciemment ou non.
Le film, en tout cas, tranche nettement dans l’abondante production de films noirs de cette décennie. Pas tant par l’histoire (co-écrite par Anthony Mann) que par la mise en scène de Fleischer, d’une modernité stupéfiante.
Le jeune cinéaste sait filmer la routine de ces flics qui enquêtent sur les agissements d’un tueur en série, et dont l’enquête piétine, se résumant la plupart du temps à du porte-à-porte et des défilés de suspects. De la pure routine policière que rien de spectaculaire ne vient rompre. L’obsession grandissante du héros, interprété plutôt bien par William Lundigan (vous ne connaissez pas ?), pose également les bases de ce que seront des dizaines de flics obsessionnels dans les décennies à venir (jusqu’à celui de Zodiac, toujours de Fincher).
Il y a là de magnifiques idées de mise en scène. Le flic, incapable de trouver une nouvelle idée pour démasquer le coupable, qui se fige en réalisant que la pluie, souvent synonyme de nouveau meurtre, est revenue ; la découverte du « placard des horreurs » dans l’appartement du tueur ; le long plan qui dévoile enfin le visage du tueur… Autant d’images marquantes qui donnent un ton unique au film.
Pour être tout à fait honnête, l’idée centrale du film est assez con. Notre héros, dans l’impasse, a une idée de génie : fabriquer un mannequin qui représente le plus fidèlement le tueur, tel qu’on le connaît d’après les indices qu’il laisse derrière lui. Un mannequin dénué de visage, seul détail manquant… Sans trop dévoiler le film, figurez-vous que ça marche.
On ne devrait pas y croire une seconde, mais la présence de ce mannequin est tellement flippante devant la caméra de Fleischer que l’absurdité du procédé est remisée au second plan. Surtout que le cinéaste s’offre une séquence totalement gratuite avec ce mannequin : un « face-à-face » (à peu près) entre lui et le policier, alors que la pluie tombe derrière les fenêtres. Un pur moment d’angoisse, l’images la plus traumatisante de cette perle noire remarquable.
• Diffusé récemment au Cinéma de Minuit de Patrick Brion, le film existe aussi en DVD : dans la collection bleue RKO des Editions Montparnasse. En bonus : une brève introduction par Serge Bromberg.