Le Médaillon (The Locket) – de John Brahm – 1946
John Brahm délaisse les ambiances nocturnes et brumeuses de l’Angleterre victorienne qui l’ont révélé (avec ses deux chefs d’œuvre, The Lodger et Hangover Square), pour cette production ambitieuse avec laquelle la RKO souhaitait visiblement renouer avec la grandeur qui était la sienne au moment de Citizen Kane ou de La Splendeur des Amberson. On y retrouve les jeux sur l’ombre et la lumière, l’importance des gros plans ou encore le génie la puissance du montage qui faisaient la force des deux premiers films d’Orson Welles.
Mais Le Médaillon n’est pas une vaine tentative de renouer avec une gloire déjà passée pour le studio. Et John Brahm est bien plus qu’un ersatz de Welles. Même si la filiation est évidente, Brahm est un cinéaste totalement au service de son histoire et de l’atmosphère qu’il crée. Le malaise qui ressort de son film est ainsi de plus en plus palpable, jusqu’à la dernière image.
La construction du film est un modèle encore inégalé (même si Christopher Nolan s’en est vraisemblablement inspiré pour son Inception, aussi complexe mais nettement plus tape-à-l’œil) : une série de flash-backs qui ne se succèdent pas, mais qui s’imbriquent les uns dans les autres.
Tout commence à quelques heures d’un mariage. Un étranger raconte au futur marié que celle qu’il va épouser n’est pas celle qu’elle prétend, qu’elle est malade, menteuse, voleuse… pire peut-être. Il raconte, et dans le flash-back, lui-même rencontrait un autre homme qui racontait… et ainsi sur quatre niveaux, qui nous plonge jusqu’à la source de tous les maux, jusqu’à ce moment où, alors qu’elle n’était qu’une enfant, la jeune femme a vécu ce traumatisme à l’origine de tout.
Le mouvement du film est une merveille absolue : une lente et vertigineuse plongée dans les tréfonds du passé (et de l’âme du personnage), suivie d’une toute aussi lente remontée vers le présent. Avec toutes les fêlures, tous les doutes, toutes les souffrances que cette remontée implique. Tous les espoirs, aussi. Comme le laisse penser l’un des personnages principaux, psychanalyste, Le Médaillon est un film qui, sous des allures de film noir classieux, ne parle que de psychanalyse : les flash-backs successifs permettent d’ouvrir de plus en plus de portes, et de plonger de plus en plus profond pour découvrir le traumatisme originel…
C’est brillamment réalisé, d’une grande intelligence, et toujours formidablement modeste dans le ton que Brahm adopte, jamais professoral, toujours plus proche du film de série que du film à thème.
Dans le rôle principal, Laraine Day est très belle et troublante. Elle ne fait rien pour cela, d’ailleurs, mais c’est justement cette manière de ne rien jouer qui rend son personnage si trouble. Brian Aherne est aussi parfait dans le rôle du psy, mais c’est un jeune acteur qui monte qui dévore l’écran. Robert Mitchum, alors en pleine éclosion, et qui allait enchaîner avec quelques-uns des plus grands films noirs : Crossfire, Out of the past… Il a déjà ce jeu faussement nonchalant et ce charme trouble qui seront sa marque.
• La collection consacrée à la RKO, chez les Editions Montparnasse, vient de s’enrichir de sept nouveaux titres, des DVD à petits prix (10 euros) avec comme unique bonus une présentation de Serge Bromberg, qui contextualise chaque film avec sa passion bien connue. Au programme, outre Le Médaillon : Double chance de Lewis Milestone, L’Autre de John Cromwell, La Femme la plus riche du monde de William A. Seiter, Haute Société de George Cukor et deux classiques de Jacques Tourneur, Vaudou et L’Homme-léopard.