La Valse dans l’ombre (Waterloo Bridge) – de Mervyn LeRoy – 1941
On pourrait écrire un livre entier sur la prestation de Vivien Leigh dans ce film, l’une des plus bouleversantes de toute l’histoire du cinéma américain. Sur son visage incroyablement pur se mélangent les plus grandes émotions, et le poids insoutenable de la culpabilité, du malheur et du destin, implacable.
Remake d’un film de James Whale (dont je parle ici très bientôt), ce Waterloo Bridge est un sommet du mélodrame hollywoodien, au même titre que les grands films de Douglas Sirk ou Frank Borzage. Un chef d’œuvre dont on ne peut pas sortir sans avoir versé des torrents de larmes : de joie d’abord, puis de désespoir…
Le film commence sur le pont de Waterloo à Londres, en 1941, alors qu’un bombardement semble imminent. Mais l’histoire, elle, commence vingt-quatre ans plus tôt, sur le même pont, et dans les mêmes circonstances. En 41, un officier vieillissant, Robert Taylor, se souvient de sa rencontre avec une jeune danseuse, de leur face-à-face dans un abri souterrain, de leur coup de foudre, et de cet amour si incongru dans ce monde en guerre…
La première partie est une sorte d’état de grâce, une pure romance comme seul Hollywood sait les inventer. Le contexte mondial difficile (celui de 1917, mais aussi celui de la sortie du film) s’efface totalement devant l’amour si complet de ces deux-là, si beaux et attachants. La mise en scène de LeRoy épouse parfaitement cet état de grâce. Les gros plans sur les regards énamourés de Leigh et Taylor, lorsqu’ils se revoient à l’opéra, sont parmi les plus beaux du genre, du fait même de leur simplicité.
Cette pureté et cette profondeur des sentiments contrastent évidemment avec la suite, que laisse pressentir la sublime scène de valse qui donne son titre français au film (les musiciens soufflent les bougies les unes après les autres, plongeant peu à peu le couple dans l’obscurité). La descente aux enfers de Vivien Leigh n’en sera que plus brutale, lorsqu’elle apprendra (à tort) la mort sur le front de celui qu’elle aime.
Code Hayes oblige, jamais le mot prostitution n’est prononcé, pas plus qu’on ne voit Vivien Leigh (ou son amie Kitty, autre beau personnage) tapiner ou ramener un homme… Mais la réalité glauque et crue n’en est que plus cruelle. Le regard de Vivien Leigh, et la manière dont la mise en scène se fait plus âpre, plus pesante, donne toute la mesure de l’épreuve que traverse cette jeune femme-enfant, victime d’une réalité historique à laquelle elle pensait échapper grâce à l’amour.
Pas de méchant ici, si ce n’est cette guerre qui dévore tout : Vivien Leig n’est entourée que de bonté. Celle de sa colocataire, sans doute le personnage le plus héroïque et désintéressé du film. Celle de sa « belle-mère », compréhensive et aimante. Et celle de Robert Taylor bien sûr, image type du prince charmant. Cette omniprésente de la bonté et de l’amour est magnifique, parce qu’elle ne fait que renforcer le poids énorme de cette guerre dont, pourtant, on ne voit rien d’autres que les uniformes des soldats en permission.
Waterloo Bridge est l’un des plus beaux mélodrames depuis L’Heure suprême de Borzage. C’est aussi l’un des « cris » anti-militariste les plus déchirants du monde.
• La sortie du film de Mervyn LeRoy en DVD était déjà une grande nouvelle. Mais l’éditeur Wild Side a eu l’excellente idée d’inclure en bonus, outre une présentation passionnée du cinéphile Olivier-René Veillon, la première adaptation de la pièce de Robert E. Sherwood. Réalisé par James Whale en 1931, quelques mois après la création de la pièce à Broadway, ce premier Waterloo Bridge permet de réaliser à quel point le film de LeRoy repose aussi sur un grand travail de scénario.
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