La Guerre des mondes (War of the Worlds) – de Steven Spielberg – 2005
Remake d’un classique un peu cheap des années 50, nouvelle adaptation d’un roman très daté de HG Wells, cette Guerre des mondes version 2005 est sans doute la plus grosse production de Spielberg, le film le plus démesuré de sa filmographie. Mais c’est aussi, grâce à un paradoxe qui colle parfaitement à sa filmo, le plus personnel de ses films, celui dans lequel se retrouvent toutes ses obsessions, toutes ses figures récurrentes, et toute sa sensibilité…
Impossible de faire le tour de ce chef d’œuvre impressionnant, qui est non seulement l’un des sommets de sa carrière, mais aussi l’un des meilleurs films de la décennie, tout simplement. Notons juste que le film est peut-être celui qui illustre le mieux la rupture qu’a marqué, à Hollywood aussi, le 11 septembre. Des dizaines de films (post)apocalyptiques suivront, mais jamais avec autant de subtilité que celui-ci, et jamais avec un tel ancrage dans le quotidien de l’Amérique « normale ».
Car le point de vue adopté par Spielberg ici n’a rien « d’extraordinaire » : jamais la caméra ne s’éloigne de ce père de famille divorcé, un type on ne peut plus ordinaire interprété par un Tom Cruise qui n’a jamais été aussi bien. Non seulement ce mec n’est pas un surhomme (il ne jouera d’ailleurs aucun rôle dans le dénouement de cette guerre), mais il n’est même pas un type remarquable (genre James Stewart dans les films de Capra). Non, c’est un homme un peu immature, père pas terrible, ex-mari détesté par ses anciens beaux-parents, un type qui n’a à peu près rien réussi, surtout pas d’être respecté par qui que ce soit…
Et c’est son point de vue d’homme ordinaire que le film va suivre de bout en bout, nous plongeant ainsi véritablement au cœur de la population d’abord, puis au cœur de la masse des survivants en exode. Il y a dans ce personnage de père, qui révèle peu à peu ses failles terribles et sa détermination plus forte que tout à sauver ses enfants (dont la petite Dakota Fanning, dans l’une des meilleures prestations d’enfants qui soit), quelque chose de bouleversant. On sent Spielberg, lui dont la filmographie est marquée par la décomposition de sa propre famille lorsqu’il était enfant, particulièrement attaché dans ce combat du père.
Il y a des passages déchirants : le moment où Tom Cruise qu’il doit tuer froidement Tim Robbins s’il ne veut pas mettre sa fille en danger ; et celle où, dans le chaos de la guerre qui l’entoure, il doit choisir de laisser partir l’un de ses enfants pour ne pas perdre l’autre. Un passage qui fait furieusement penser au Choix de Sophie…
Si l’ombre du 11 septembre plane évidemment sur le film, c’est surtout celle de la deuxième guerre mondiale qui domine cette Guerre des mondes, comme c’est le cas pour beaucoup d’autres films de Spielberg. L’occupation, l’extermination d’un peuple, mais aussi le cycle de la vie, qui reprend immanquablement ses droits, même après les périodes les plus barbares… L’inspiration de Spielberg est évidente, mais traitée avec une parfaite intelligence.
Faisons-nous mal, et imaginons deux secondes ce que Michael Bay aurait fait d’un tel scénario, avec de tels moyens… Assurément pas la même chose ! Avec le plus imposant de ses blockbusters, avec des effets spéciaux omniprésents, des décors gigantesques, des tas de figurants… Spielberg, lui, signe son film le plus intime, le plus intelligent, et le plus émouvant.
Et il le fait avec un style ébouriffant. Pas le moindre plan anodin ici, pas la plus petite baisse de régime. Dès les premières images, la mise en scène de Spielberg est absolument exceptionnelle, très longs plans (souvent aidés par les effets numériques) d’une fluidité hallucinante qui suivent au plus près des personnages ballottés par le cours dramatique de l’histoire.
C’est du très grand art, et un plaisir de cinéma immense.