Une allumette à trois (Three on a match) – de Mervyn LeRoy – 1932
Ce qu’il y a de passionnant dans la période pre-code du cinéma américain, c’est justement que le code Hayes n’était pas en vigueur, et qu’on se permettait à peu près tous les excès. Ce très beau mélodrame, signé par Mervyn LeRoy la même année que son chef d’œuvre Je suis un évadé, est très représentatif de cette parenthèse hollywoodienne qui n’aura duré que quelques années, au début des années 30.
C’est une terrible histoire de déchéance que raconte le film : celle d’une jeune femme qui avait tout pour être heureuse, et qui s’est totalement perdue. Une enfant gâtée et populaire, devenue l’épouse d’un homme riche, bon et aimant, et la mère d’un p’tit bonhomme adorable (le stéréotype du gamin hollywoodien : cheveux bouclés, moue boudeuse, petit nez retroussé), mais qui s’ennuie et se laisse entraîner par le premier séducteur entreprenant venu, qu’elle suit dans ses excès et sa débauche.
Le film est surtout passionnant parce qu’il raconte d’une manière très originale le destin croisé de trois amies d’enfance très différentes, de milieux sociaux très marqués : la fille de riche destinée à une vie facile (Ann Dvorak, d’une intensité folle), la fille modeste qui se prépare à une vie de labeur (Bette Davies, très jeune et très jolie), et la fille délurée habituée aux maisons de correction (Joan Blondell, douce et sexy à la fois).
Le film est un rien moralisateur, mais d’une manière inattendue. La deuxième chance existe pour celle qui était promise au plus sinistre des avenirs. Lorsque son amie fortunée se laisse aller à la débauche, elle aussi a toujours une porte de sortie. Mais quand son fils est la victime de ses écarts, il n’y a plus de retour possible, et la chute est spectaculaire. Sexe, alcool, drogue… Rien n’est montré vraiment frontalement, mais tout est d’une clarté sidérante.
Tombée au plus bas, Vivian aura tout de même un sursaut d’humanité, aussi bref que sidérant. Ce serait cruel de révéler la nature de ce sursaut ici, mais c’est la scène la plus forte du film, un éclat inattendu, spectaculaire et bouleversant, qui vaut la dernière « image » si mémorable de Je suis un évadé.
La structure du film est elle aussi assez originale : les mois et les années s’écoulent entre deux séquences, rythmées par des images d’actualité et des coupures de presse qui font avancer l’intrigue tout en le situant dans un contexte historique (crise boursière, tragédie, menace de guerre…), dont les protagonistes semblent pourtant totalement étrangers. Cette structure contribue à faire ressentir le poids du temps qui passe (malgré la courte durée du film, à peine plus d’une heure), et le gâchis de ce qui a été perdu.
On est aussi bien heureux de découvrir dans un rôle secondaire (il apparaît vingt minutes avant la fin du film) un jeune Humphrey Bogart, qui n’avait tourné qu’une dizaine de films mineurs, et dans des seconds rôles (dont le Up the river de Ford), et qui révèle déjà une présence joliment brutale, avec ce petit sourire sarcastique que l’on retrouvera dans Le Faucon maltais.
• Three on a match figure dans le volume 2 de la collection « Forbidden Hollywood », édité en zone 1 chez TCM Archives, avec The Divorcee de Robert Z. Leonard, A Free Soul de Clarence Brown, Female de Michael Curtiz et Night Nurse de William Wellman. Tous des films pre-code.
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