J’ai le droit de vivre (You only live once) – de Fritz Lang – 1937
Deuxième film américain de Fritz Lang après le formidable Furie, et toujours le même thème : celui de l’innocent condamné et lynché. Mais il y a une différence de taille : cette fois, ce n’est pas la foule, incontrôlable et inhumaine, qui lynche l’innocent, mais la société dans tout ce qu’elle a d’organisée et d’officielle.
Henry Fonda, mauvais garçon libéré de sa troisième peine de prison et bien décidé à marcher droit et à mener une vie décente auprès de sa fiancée, la jolie Sylvia Sidney. Sauf que la rédemption est une chimère, et que cette société américaine, à peine sauvée par quelques grandes âmes (le prêtre, l’avocat, deux belles personnes qui risquent leur intégrité, leur bonheur et leur vie pour le bonheur des amoureux), ne laisse guère d’espoir à un condamné en quête d’une deuxième chance.
Alors que le terme n’a pas encore été inventé, J’ai le droit de vivre est un vrai film noir, dans la lignée du génial Je suis un évadé, et avec tout ce que cela implique de tragédie, de mauvaises décisions, et de contexte social.
Ce film est un chef d’œuvre, un de plus pour Lang. De cette histoire simple et tragique, Lang fait une formidable version moderne de Roméo et Juliette, avec deux personnages d’univers très différents, que l’amour conduit vers une apothéose fatale absolument sublime.
Etonnant de voir à quel point Lang, jeune exilé accueilli comme un roi à Hollywood, se montre critique et cynique envers la société américaine. Son film est d’une ironie cruelle, à l’image d’une scène assez incroyable : à quelques heures de son exécution, Fonda est soigné dans l’infirmerie de l’hôpital, les médecins s’affairant pour s’assurer qu’il sera en bonne santé pour subir son châtiment…
Cette ironie vire au cynisme absolu lors de l’évasion, moment de bravoure annoncé qui vire au tragique absurde. Lang signe une œuvre d’une noirceur abyssale, évitant toute facilité, et tout sentimentalisme : ses personnages sont des victimes, dans une certaine manière, mais Lang ne leur enlève par leur libre arbitre, et n’en fait pas de simples pions manipulés par le destin. Fonda a sa part d’ombre : il suffit de le voir chuchoter avec hargne, les yeux exorbités, « Give me a gun », pour s’en convaincre. Et Sidney abandonne tout, jusqu’à ce qu’elle a de plus innocent en elle (son bébé) pour son homme…
On s’en doute dès les premières images : tout ça finira très mal. Après Furie, les premiers pas de Lang à Hollywood sont décidément très, très, très sombres… Et Lang a une vision de l’innocence et de la culpabilité très personnelle.