Le Cheval de Turin (A Torini lo) – de Béla Tarr – 2011
Un cheval tire avec peine une charrette dans un paysage désolé, balayé par une violente tempête. Le plan, le premier du film, est long, très long. Le cheval avance difficilement, tandis que la caméra le suit dans un travelling incroyable. Ce premier plan séquence du Cheval de Turin provoque une sensation exceptionnelle, une émotion qui s’explique difficilement, mais qui vous prend aux tripes.
Est-ce la beauté sidérante de ces images en noir et blanc ? Est-ce la musique lancinante et fascinante ? Les quelque deux heures vingt de ce film provoquent des émotions aussi fortes que cette première scène. Pourtant, le film est d’une langueur absolue. On pourrait dire qu’il ne se passe pas grand-chose : un père et sa fille qui répètent, jour après jour, les mêmes gestes du quotidien, dans une ferme isolée de tout par la tempête, et quasiment sans se parler.
Mais ces gestes, immuables mais filmés systématiquement de manière différente, sont fascinants. Ils en disent plus sur ces personnages, sur leur situation et leur état d’esprit, que de longs discours. Jour après jour, on assiste au même repas : une patate chacun, trop chaude, dévorée dans le silence… Pourtant, chacun de ces repas est différent. Les jours qui se suivent se ressemblent, mais sont pourtant radicalement différents, à cause de petits détails qui changent tout.
Les vers qui ne font plus de bruit dans les boiseries de la ferme, le cheval qui refuse d’avancer, puis de se nourrir, la visite impromptue d’un voisin, l’eau du puits qui disparaît, puis le feu… Les signes, d’abord très minces, se succèdent, annonçant un changement radical. Et chacun d’entre eux crée un malaise persistant.
Est-ce la fin du monde à laquelle on assiste ? Qu’importe : c’est un grand film que l’on découvre, l’œuvre d’un cinéaste qui sait faire parler les visages, les pierres et l’obscurité avec une profondeur inouïe, et qui filme le temps (et le cheval) comme personne ne l’a fait avant lui. Des films aussi puissants et beaux que ce Cheval de Turin ne sont pas si courants…