Le Forgeron du village (The Village Blacksmith) – de John Ford – 1922
(photogramme tiré d’une séquence disparue)
11 minutes : c’est tout ce qui a survécu de cette œuvre de jeunesse de Ford, long métrage dont la quasi-totalité semble avoir disparu à jamais. Mais l’unique bobine qui nous soit parvenue est impressionnante : The Village Blacksmith, ou ce qu’il en reste, est à placer parmi les très grandes réussites muettes de Ford. La perte des autres bobines n’en est que plus désolante.
Evidemment, on ne peut juger du film dans son ensemble, mais ce passage, qui correspond vraisemblablement à la fin du film, est tout simplement extraordinaire. On est apparemment en plein climax, et Ford nous livre un montage alterné ahurissant où plusieurs drames semblent se dénouer.
Les deux tiers de la bobine se déroulent durant une nuit sombre et orageuse, dans une campagne inquiétante. Durant ces quelques minutes, Ford filme un homme handicapé qui rampe dans la boue animé par une rage peu commune (vision qui paraît tout droit sortie d’un film de Tod Browning) ; une jeune femme foudroyée ; une bagarre à main nue sous la pluie ; un père et son fils battant à coup de cravache et avec un sourire incroyablement sadique le jeune handicapé cloué au sol ; le père de celui-ci traînant les deux salauds à travers la nuit menaçante…
(image tirée de l’unique bobine rescapée)
Au sommet de son art, déjà, Ford compose des images inoubliables qui impressionnent, même si l’enjeu dramatique reste relativement obscur. On devine quand même que le jeune handicapé (qui retrouvera l’usage de ses jambes grâce à son frère chirurgien) et son père, des gens modestes visiblement, ont été accusés à tort d’avoir volé de l’argent destiné aux bonnes œuvres, et que ce vol a en fait été commis par les membres d’une famille nettement plus « respectable ».
Mais tout ça finit bien : après cette séquence mémorable, Ford conclut son film par une fête comme il les aime. Un mariage filmé avec légèreté, et où on devine l’esprit de communauté cher à Ford, avec ses gueules irlandaises (notamment celle de Francis Ford, le grand frère, qui n’était pas encore cet éternel vieillard alcoolique à la barbe blanche, figure incontournable des films de John) et ses amitiés viriles.
Cette ultime bobine de The Village Blacksmith est une rareté, évidemment. C’est aussi un témoignage précieux qui rappelle que, même si quelques films sont encore miraculeusement retrouvés (Upstream, récemment), la grande majorité des œuvres muettes de Ford, comme de beaucoup d’autres cinéastes, est sans doute irrémédiablement perdue.