Les Inconnus dans la ville (Violent Saturday) – de Richard Fleischer – 1955
Violent Saturday est un film génial qui, mine de rien, révolutionne complètement le film de braquage. A première vue, Richard Fleischer signe un film de genre tout ce qu’il y a de plus classique : trois gangsters arrivent dans une petite ville et se préparent pour l’attaque d’une banque. On a vu ça cent fois dans des polars, ou des westerns.
Mais dans la première heure, les préparatifs des gangsters ne sont là qu’en pointillés, servant de fil conducteur entre des personnages qui, d’habitude, ne sont au mieux que des seconds rôles, au pire des figurants : les habitants de cette petite ville, ceux qui, vers la fin du film, vont voir leur vie bouleversée par un petit moment de violence extrême.
Ils sont une dizaine de personnages qui n’ont rien de spectaculaire, mais qui ont tous leurs petits défauts, leurs fêlures. Et ce sont ces parts d’ombre que Fleischer explore, avec une délicatesse et une intelligence folles. Victor Mature en père de famille qui souffre de ne pas être un héros aux yeux de son fils ; Richard Egan en riche héritier qui aime encore une femme dont l’infidélité le ronge ; Sylvia Sidney en vieille fille qui n’arrive pas à joindre les deux bouts et se résout à voler ; Tommy Noonan en banquier qui reluque la cliente dont il est secrètement amoureux…
Fleischer réussit à faire vivre chacun de ses personnages, à la rendre profondément attachants et émouvants. Et il le fait avec une fluidité de l’action qui est remarquable : pas une seconde cette action en suspens ne fait baisser le rythme d’un film constamment passionnant et brillant.
Côté gangsters aussi, Fleischer évite les facilités, choisissant trois caractères qui flirtent avec le stéréotype (le chef, le cérébral, la brute), pour mieux en prendre le contre-pied. Notamment lors d’une discussion nocturne entre Stephen McNally et Lee Marvin, totalement inattendue, qui n’apporte strictement rien à l’intrigue, mais fait beaucoup pour la profondeur de ces personnages, et pour l’atmosphère si singulière du film.
Cette courte scène illustre bien le part pris de Fleischer : ne s’intéresser vraiment qu’à tout ce qui d’habitude passe au second plan : les angoisses et incertitudes des protagonistes, le quotidien des personnages secondaires,…
Quant à l’explosion de violence attendue, aussi brève que fulgurante, elle est d’une virtuosité incroyable, révélant le caractère de certains, et l’absurdité de l’entreprise. La fusillade finale, surtout, est extraordinaire, donnant soudain à Victor Mature les épaules d’un authentique héros. Sa vie, et ses rapports avec son fils, s’en trouveront bouleversés.
C’est ce qui est beau dans ce film : la manière dont l’intrigue policière et la chronique d’une petite ville normale sont intimement liées. Violent Saturday est un chef d’œuvre, l’un des plus beaux films de son auteur.