Visages d’enfants – de Jacques Feyder – 1923
Un enfant dont la mère vient de mourir n’arrive pas à en faire le deuil, et se renferme sur lui-même lorsque son père, homme bon mais incapable d’apporter la tendresse dont son fils a besoin, décide de se remarier.
C’est un sujet particulièrement difficile que choisit Feyder, pour ce qui est l’un de ses chefs-d’œuvre. D’autant plus difficile que le cinéaste adopte la plupart du temps le point de vue du gamin, plaçant même parfois la caméra à sa hauteur, et que son film se fait le porte-parole de ses sentiments, qui oscillent de la tristesse à la colère en passant par la douleur.
La première séquence, notamment, est extraordinaire : l’enterrement de la mère, suivi en parallèle, grâce à un montage alterné, par le fils qui porte le poids de cette disparition, et sa petite sœur encore insouciante. Le montage alterné illustre parfaitement et cruellement la différence de ressenti. Cette douleur confrontée à l’insouciance de la jeune sœur est bouleversante.
C’est d’autant plus bouleversant que Feyder n’en rajoute jamais dans l’émotion. Son histoire est suffisamment dure pour ne pas surenchérir.
C’est une réussite rare, parce que c’est vraiment dans la tête de ce pauvre gamin que Feyder nous place, ce gamin qui pense à sa mère bien sûr, mais qui souffre aussi, sans jamais le dire, du manque de tendresse d’un père dont on attend jusqu’au bout qu’il l’étreigne.
En cela, Visages d’enfants est non seulement un superbe film sur le deuil d’un enfant et ses interrogations, c’est aussi l’un des plus beaux films sur l’enfance.
Et puis Feyder utilise magnifiquement des décors naturels spectaculaires : le petit village de Saint-Luc, perdu dans les montagnes suisses que le cinéaste filme avec une inspiration constante. Le voyage du gamin et de son parrain d’une vallée à l’autre, est impressionnant, comme l’est la séquence de l’avalanche et les recherches nocturnes qui suivent, filmées réellement de nuit, chose rare à l’époque et éclairée à la torche.
Jean Forest, le gamin (que Feyder avait déjà dirigé dans Crainquebille, est absolument exceptionnel, dans ce qui est l’un des sommets du muet français (franco-suisse, disons).