La Femme au Gardenia (The Blue Gardenia) – de Fritz Lang – 1953
Lang a mis une nouvelle fois toutes ses obsessions dans ce petit film noir passionnant, qui évoque deux paires de films jumeaux : La Rue Rouge et La Femme au portrait d’un côté, pour la manière dont la personne la plus innocente du monde peut être amenée à commettre un crime ; La Cinquième Victime et L’Invraisemblable Vérité de l’autre, pour le cynisme avec lequel il évoque le monde de la presse américaine… Dans La Femme au Gardenia, le cinéaste semble faire un résumé de tout ce qui est au cœur de tant de ses films.
Celui-ci est clairement divisé en deux parties, à peu près égales. La première concerne le long processus qui conduit au crime : une jeune femme romantique sans problème qui, parce qu’elle a eu une grande déception amoureuse, accepte l’invitation d’un séducteur très entreprenant (Raymond Burr, excellent dans un rôle plus nuancé que ses éternels gros durs)… qui se révèlera trop entreprenant. On imagine la suite : on l’a vue des centaines de fois. En faisant du séducteur un artiste peintre, Lang dresse (volontairement ?) un nouveau pont avec l’œuvre d’Hitchcock : difficile de ne pas penser à la même scène dans Chantage.
La seconde partie est plus cruelle, plus cynique. Le personnage principal devient alors un journaliste (Richard Conte) qui tend la main à la mystérieuse meurtrière, prêt à lui sortir n’importe quel boniment et à la livrer à la police pour s’assurer un gros titre. Pas plus que dans ses deux derniers films américains, qu’il tournera avec Dana Andrews, Lang ne se fait d’illusion sur les grands devoirs de la presse.
Il y a une rupture de ton marquante entre ces deux parties, qui forment pourtant un tout d’une remarquable cohérence. L’évolution du personnage d’Anne Baxter, le cauchemar dans lequel elle se jette presque délibérément avant de s’y débattre désespérément, correspondent exactement avec l’état d’esprit dans lequel nous plonge le film.
Le rebondissement final, sans doute une concession faite au studio, fait cependant perdre de sa force au film. Lang, cette fois, donne l’impression d’avoir eu peur de son sujet, qui méritait sans doute une approche plus extrême. Celle qu’il adoptera dans Beyond a reasonable doubt et While the City sleeps le sera bien davantage. Reste que ce Blue Gardenia est une œuvre noire prenante et intelligente, comme on les aime.
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