L’Etrange Incident (The Ox-Bow Incident) – de William A. Wellman – 1943
Sept ans plus tôt, Fritz Lang avait fait ses débuts à Hollywood avec Furie, chef d’œuvre absolu qui dépeignait avec réalisme et cynisme les comportements les plus extrêmes d’une foule, jusqu’au lynchage. Une référence instantanée, difficilement égalable. Et pourtant, avec une économie de moyen impressionnante, Wellman signe lui aussi un immense chef d’œuvre, plus fort encore, peut-être, que le film de Lang.
Le parti-pris est, en tout cas, plus jusqu’au-boutiste : Wellman parle de la foule ? Il n’en sortira jamais, tout son film se déroule à hauteur d’homme, à l’intérieur de ce groupe qui se forme pour rattraper et pendre ceux que la communauté soupçonne d’avoir tué l’un des leurs.
Wellman ne choisit pas la facilité : son western, passées les premières apparences, ne possède aucune des caractéristiques habituelles du genre. Ni héros, ni vrai méchant. Ni grande chevauchée sauvage (la seule cavalcade se solde par un accident stupide et une rencontre inattendue et sans conséquence entre deux anciens amants), ni menace extérieure.
Non, le film ne sort jamais de ce groupe d’homme, dont il observe au plus près les réactions, les doutes, les passions, les colères. Celui qui ressemble le plus à un héros, joué par Henry Fonda, est un type brut de décoffrage au passé un peu trouble, qui ne se fait aucune illusion sur la culpabilité des types qu’ils vont lyncher, ou sur son propre héroïsme : s’il suit le mouvement, c’est par peur d’avoir l’air suspect et de se retrouver à la place de ceux qui vont se balancer au bout d’une corde.
C’est son point de vue que Wellman adopte : celui d’un type foncièrement bon, mais vaguement lâche, qui n’élève la voix, par intermittence, que pour se donner bonne conscience. La surprise, l’hébétement, les peurs des « victimes » (Dana Andrews, Anthony Quinn et Francis Ford), observées de l’extérieur, n’en sont que plus troublantes, et plus effrayantes. C’est aussi ce qui rend le film aussi bouleversant : l’approche terriblement humaine et « normale » de ce lynchage terrifiant. Et le fait que personne, et surtout pas les plus véhéments des lyncheurs, n’en sortira indemne.
The Ox-Bow Incident est presque une aberration dans la production hollywoodienne : son sujet, cruel et insupportable, est traité sans que rien ne vienne adoucir le propos. C’est un chef d’œuvre absolu, qui n’a rien perdu de sa puissance…
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