Au bonheur des dames – d’André Cayatte – 1943
Tourné treize ans après une magnifique première adaptation (muette) signée Julien Duvivier, cette nouvelle adaptation du roman de Zola a longtemps eu mauvaise réputation, due essentiellement au contexte de sa production. Nous sommes en 1943, dans les studios de la Continental dirigée par l’occupant allemand, et le message du film est mal perçu : la traditionnelle lutte des classes (les gentils petits contre les méchants puissants) en prend un sacré coup. De quoi désarçonner un public en quête de valeurs franches.
Rappelons quand même que L’Assassin habite au 21 et Le Corbeau, deux autres productions Continental, ont eux aussi été considérés comme des films très condescendants à l’égard de l’occupant… Et comme les deux films de Clouzot, cette deuxième réalisation d’André Cayatte gagne énormément à être dégagée de cet encombrant contexte : pas aussi éclatante visuellement que le film de Duvivier, cette première adaptation parlante n’en est pas moins une grande réussite.
L’histoire est la même : le développement d’un grand magasin met en péril les petites boutiques alentours. Le propriétaire de l’une d’elles voit même dans le patron du grand magasin un ennemi personnel. Quand sa nièce se fait embaucher chez son concurrent, il se sent trahi.
Contrairement au film de 1930, qui modernisait l’histoire, ce film-ci respecte le roman de Zola, et se déroule sous l’Empire. Le message n’en est pas moins fort. Et la lutte des classes, si elle évite constamment tout effet simpliste, est au cœur du film. La romance qui naît entre la petite vendeuse (Suzy Prim) et le grand patron (Albert Préjean) symbolise la complexité de ces rapports de classe, tandis que le destin tragique du petit commerçant (Michel Simon) illustre la fin d’une époque.
Dans cette époque de mutation, le film de Cayatte s’intéresse avant tout aux personnalités, à ces vendeuses privées de beaucoup de liberté. Le contraste avec le faste des grands patrons est édifiant. Cayatte raconte aussi la naissance du paternalisme. Son film ne juge personne. Ce qu’il raconte, c’est le monde en marche, le « progrès » et ses victimes.
C’est édifiant, merveilleusement interprété, et réalisé par un jeune cinéaste qui fait preuve d’une inspiration de chaque scène. Son film fait le lien entre le réalisme poétique des années 30, et un cinéma plus percutant d’après-guerre. Le classique de Zola a droit à un deuxième classique du cinéma.
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Génial, un blog excellent!
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