Zero Dark Thirty (id.) – de Kathryn Bigelow – 2012
Sur le papier, Zero Dark Thirty a tout de la fausse bonne idée : un film-enquête sur la longue traque de Ben Laden, près de dix ans de l’histoire secrète des Etats-Unis dont on ne connaît que la partie émergée… D’autres avant Kathryn Bigelow se sont attaqués à des sujets aussi brûlants, sans avoir plus de recul : Oliver Stone, surtout, qui a réalisé des World Trade Center et W qui ne sont pas parmi ses grandes réussites.
Mais Kathryn Bigelow n’est pas Oliver Stone. Ce qui, pour le coup, est un sacré compliment (même si j’aime bien Stone, la plupart du temps). Avec Zero Dark Thirty, la première réalisatrice oscarisée de l’histoire (c’était pour Démineurs) fait ce qu’un Oliver Stone n’aurait jamais pu faire : un film qui n’assène pas. Dépassionné et passionnant.
Avec son scénariste Mark Boam, Bigelow a réussi un pari totalement improbable : rendre parfaitement intelligible, sans jamais simplifier, une enquête de près de dix ans où l’essentiel se situe dans des rapports, où on a bien du mal à comprendre qui est qui dans la nébuleuse Al Qaïda… Grâce à un scénario d’une rare intelligence, et grâce aussi (et surtout) à une mise en scène qui mériterait un nouvel Oscar.
Car jamais Kathryn Bigelow, cinéaste à la carrière passionnante, ne tombe dans les excès du cinéma-document. La caméra est la plupart du temps à l’épaule, oui. Mais ça ne l’empêche pas de soigner ses cadrages et ses éclairages. Plus que n’importe quel blockbuster lambda, et même si on nous assure que (presque) tout est vrai, à commencer par l’usage de la torture (que Bigelow filme frontalement mais sans complaisance), Zero Dark Thirty est un vrai film de cinéma, et un grand.
La réalisatrice utilise tous les artifices du cinéma pour raconter son histoire, pour souligner les effets. Pour filmer la peur, surtout, qui a rarement été aussi tangible que dans ce film. Qu’elle plane d’une manière diffuse sur des rues bondées et vaguement menaçante, ou qu’elle fasse irruption de manière soudaine et violente.
Mine de rien, c’est peut-être bien le premier film crédible consacré à la guerre au terrorisme, que signe Kathryn Bigelow. Un film qui risque bien de rester un modèle total, tant, à travers quelques scènes traumatisantes, elle parvient à rendre tangible la peur, l’horreur, et les différences absolues entre les protagonistes de cette guerre. Les séquences d’attentat sont d’ailleurs d’une force incroyable, irruption de la mort dans des bulles de quiétude…
Au début, forcément, on pense à JFK (Stone, toujours), pour le côté film-dossier, pour la complexité et la longueur de l’enquête, pour la manière exceptionnelle dont le film parvient à ne jamais nous perdre. Mais rapidement, on réalise que c’est ailleurs qu’il faut chercher une vraie parenté : du côté, inattendu, de La Prisonnière du Désert.
Car le film parle avant tout de l’obsession : celle du personnage principal, jouée par une Jessica Chastain décidément formidable, jeune agent de la CIA qui passera plus de sept ans à traquer Ben Laden, y sacrifiant toute sa vie. Sept ans : c’est justement le temps que Ethan Edwards/John Wayne passait à chercher sa nièce dans le chef d’œuvre de John Ford.
Physiquement, bien sûr, il n’y a pas de comparaison entre le rude Duke et la belle Chastain. Mais les deux personnages sont de la même trempe. Des obsessionnelles que leur quête mènera au bord de la folie et qui, au final, seront exclus des effusions de joie, se retrouvant seuls lorsque la porte se referme. Douce et incroyablement forte, d’une intensité rare, la belle a les épaules de Wayne. Et Kathryn Bigelow a la stature d’un immense cinéaste.
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