Le Grand Sommeil (The Big Sleep) – de Howard Hawks – 1945
Dans l’indispensable biographie de Hawks écrite par Todd McCarthy, un long chapitre est consacré au Grand Sommeil, censé être écrit par un William Faulkner qui passait plus de temps avec sa bouteille de whisky qu’avec sa machine à écrire. Il y a aussi cette fameuse anecdote de l’interrogation quant à l’identité de celui qui a tué le chauffeur. « C’est untel » aurait répondu Chandler lui-même, l’auteur du roman original. « Impossible, untel n’était pas là » lui aurait-on rétorqué. « Alors je ne sais pas… »
Cela pour dire à quel point l’intrigue du Grand Sommeil est complexe. Quasiment impossible d’avoir une vision limpide d’un bout à l’autre de ce qui reste l’un des plus grands films de détective de toute l’histoire du cinéma (avec Le Faucon maltais disons, déjà avec Bogie). D’ailleurs, mieux vaut accepter de se perdre en route, et ne pas chercher à s’accrocher à tout prix aux multiples rebondissements et à l’intrigue à tiroirs : le plaisir n’en est alors que plus grand, de se laisser happer par l’atmosphère oppressante et envoûtante de ce mythique mystère.
La vraisemblance n’est visiblement pas la préoccupation première des scénaristes et de Hawks, qui peuplent L.A. de séductrices magnifiques qui, toutes, craquent pour le détective Marlowe dès le premier coup d’œil. A commencer par les bibliothécaires qui donnent envie de vérifier que sa carte d’abonné est à jour. Pas une femme quelconque à l’horizon, pas de timorée non plus. L’influence du whisky aidant ? Toujours est-il que les allusions sexuelles et les dialogues à double niveau de lecture sont omniprésents.
Je ne vais même pas essayer de résumer l’intrigue, si ce n’est le tout début Marlowe est engagé par un vieux général malade pour libérer sa fille cadette, fofolle allumeuse, d’un maître-chanteur. Ce n’est que la porte d’entrée vers une enquête jonchée de cadavres et de rencontres exquises, notamment avec la fille aînée du général : Lauren Bacall, dans un rôle trouble et troublant.
Les hommes meurent sans qu’on sache toujours pourquoi, les femmes séduisent et se languissent… Et Bogart traverse ce mystère on ne peut plus opaque avec une superbe qui relève du mythe, ne baissant la garde qu’à deux courtes reprises : léger lorsqu’il se déguise en pilier de bibliothèque à lunettes, et grave lorsqu’il avoue enfin éprouver une vraie peur.
Hawks instaure une atmosphère fascinante et multiplie les moments de pure magie cinématographique. Sans esbroufe et avec une économie de moyens remarquables, mais avec des comédiens formidables et des dialogues exceptionnels. Un immense chef d’œuvre, bien sûr…
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.