La Taverne de la Jamaïque / L’Auberge de la Jamaïque (Jamaica Inn) – d’Alfred Hitchcock – 1939
Hitchcock fait ses adieux à l’Angleterre avec ce film, tourné alors que son départ pour Hollywood était déjà acté. Curieux hasard : Jamaica Inn, rajouté sur son agenda après Une femme disparaît, qui devait être son ultime film réalisé en Angleterre, est une adaptation du Daphnee du Maurier, comme le sera son premier film américain, Rebecca. Egalement un film qu’il n’était pas censé tourner, puisqu’il partait à Hollywood avec le projet de réaliser un Titanic…
De ce film tourné presque malgré lui, Hitchcock gardait un souvenir assez amer, affirmant même qu’il avait dû se plier aux volontés de son acteur-vedette, Charles Laughton, cabot génial qui fait de son personnage une créature abjecte et trouble, à la folie manifeste. On peut sérieusement imaginer qu’Hitchcock avait une vision sans doute plus nuancée du personnage.
Mineur, sans doute, dans l’œuvre immense du cinéaste, La Taverne de la Jamaïque n’en est pas moins une grande réussite. Un film inquiétant et fascinant, avec une poignée de séquences très mémorables.
La première scène, fabuleuse, campe le décor : les côtes escarpées des Cornouailles, au début du 19ème siècle. Et les personnages : des naufrageurs sanguinaires qui amènent les navires à s’échouer sur les rochers, avant de massacrer tous les marins jusqu’au dernier. Hitchcock filme ça presque sans parole, avec des cadrages impressionnants qui soulignent la beauté rugueuse et sinistre des lieues, et la cruauté des hommes. On n’est pas vraiment dans un conte de fée, et la sublime Maureen O’Hara (dans son premier rôle majeur), orpheline venue d’Irlande, ne va pas tarder à s’en rendre compte, découvrant que l’auberge tenue par son oncle et sa tante et le repère de cette bande de naufrageurs.
Tourné après une série de chefs-d’œuvre qui relevaient autant de la comédie que du thriller (à partir des 39 Marches), La Taverne de la Jamaïque marque une rupture de ton assez impressionnante pour Hitchcok. Preuve en est le changement de registre important que le cinéaste impose à Leslie Banks, père de famille exemplaire et vrai héros hitchcockien dans L’Homme qui en savait trop, transformé ici en brute sanguinaire dont l’humanité ne transparaît que par moments. La métamorphose est impressionnante.
Rien ne porte à rire dans cet univers presque exclusivement nocturne, balayé par le vent et les embruns. Jamais le cinéaste ne cherche à rendre l’histoire plus légère qu’elle ne l’est : son film sent le sang et l’alcool, et il ne restera pas grand-chose de l’innocence de la belle Maureen quand le mot « fin » apparaîtra…
Hitchcock, qui voulait en finir avec le bricolage (génial et indémodable) de sa période anglaise, semble tourner une page. Désormais, ses films seront plus complexes, plus adultes. Une nouvelle ère commence.
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