Les Piliers de la Société (Stützen der Gesellschaft) – de Douglas Sirk (Detlef Sierck) – 1935
C’est l’un des premiers films de Sirk (qui s’appelait encore Detlef Sierck), et l’une des plus personnelles de ses œuvres de jeunesse. Ce Danois installé en Allemagne adapte en effet l’une des œuvres les plus célèbres d’Ibsen, et dépeint une bourgeoisie du Danemark complexe, à la fois pilier incontournable d’une société à qui elle donne un cadre et une direction, et rongée par l’hypocrisie et le mensonge.
Le consul Bernick résume parfaitement la complexité du propos : lui qui aime se présenter comme le plus important de cette société, armateur qui fait vivre des centaines de personnes sur ses chantiers, le fait au détriment de centaines d’autres, qu’ils conduit à la ruine, voire à la mort (les deux vont souvent ensemble). Quant à son empire et à son statut social, il les doit à un double mensonge, fait au détriment de son beau-frère qui – la belle aubaine – était parti vivre dans les grands espaces américains, loin de cette société étouffante. Sauf que le beauf, après des années d’exil, est de retour…
Stylistiquement parlant, Sirk est encore un peu brouillon. La force, déjà réelle, de sa mise en scène, n’a pas l’élégance de ses grands mélos à venir. Et on le sent peu à l’aise avec le grand moment de bravoure : un naufrage durant une tempête dont on ne voit que des gros plans de vagues qui se répètent, et viennent frapper le pont d’un bateau vaguement reconstitué en studio. Au niveau du rythme, c’est parfait ; mais l’impression de sympathique bricolage nous laisse un peu en marge du drame qui se noue.
Les personnages, eux, inspirés d’Ibsen, sont la grande force du film. Le consul, en particulier, est un personnage proprement monstrueux. Physiquement imposant (on pense au Falstaff de Welles), il est d’une complexité rare, monstre d’égoïsme qui se voit comme un bienfaiteur, mais n’agit au fond jamais pour le bien général. Egoïste qui s’ignore, il réalise trop tard la portée de ses décisions (et l’impact de sa fortune) sur la vie des petites gens…
Sirk n’atteindra la pleine valeur de son art qu’aux Etats-Unis, plus d’une dizaine d’années plus tard. Mais il y a dans ces Piliers… les bases d’une œuvre géniale et très cohérente.
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