Les Nibelungen, 1ère partie : La Mort de Siegfried (Die Nibelungen. Teil I : Siegfried) – de Fritz Lang – 1924
Je dois avouer que l’idée de voir cinq heures et demi d’un film (deux, en fait) adapté des légendes fondatrices de la culture germanique ne m’attirait que pour une unique raison : Fritz Lang. Et même là, c’est avec un peu d’appréhension, en même temps que beaucoup de curiosité, que je me suis plongé dans ce monde de reines, d’elfes et de complots… Eh bien la surprise est bonne, pour cette première partie qui évoque le destin de Siegfried, fils de roi devenu héros légendaire après avoir terrassé un dragon.
Il fallait la stature de Lang, qui était alors le cinéaste le plus talentueux et le plus influent d’Allemagne, pour porter à l’écran cette légende spectaculaire dans tous les sens du terme. Après le triomphe de Docteur Mabuse, Lang peut choisir le projet qui lui plaît le plus. Ce sera cette fresque en deux partie de deux et demi chacune… et Metropolis, autre monument colossal qui, lui explorera les affres de la société allemande par le prisme non plus de la légende, mais de la science fiction. Les deux, finalement, ne sont pas si éloignés que cela : dans l’un et l’autre film, c’est de ses semblables que Lang parle, tentant de décrypter leur nature complexe capable des plus belles créations artistiques comme des pires atrocités.
Le film est fragmenté en sept parties, sept « chants » qui racontent les grandes étapes de la légende Siegfried : comment il a terrassé le dragon ; comment il a hérité du trésor des Nibelungen ; comment il a aidé le roi des Burgonds à épouser celle qu’il aimait pour pouvoir, lui, épouser Krimhild, la sœur du roi ; comment il a été trahi par le bras droit du roi…
On voit bien ce qui a attiré Lang dans cette légende, outre le fait de retrouver les racines de cette société dont il n’a cessé d’explorer les failles : la construction proche de l’esprit feuilletonesque qu’il apprécie particulièrement durant sa période muette (Mabuse, Les Espions, La Femme sur la Lune…)
Les Nibelungen n’est certes pas le plus personnel de ses projets, ni le plus passionnant d’ailleurs. Mais la démesure du film (certaines scènes ont demandé des centaines de figurants), et la candeur avec laquelle Lang relève les plus grands défis, emportent l’adhésion. Il y a ici des trucages franchement bluffants : des nains qui se transforment en statues de pierre sous nos yeux, des êtres invisibles, des décors enflammés, et ce fameux dragon croquignolet… Un peu raide de la mâchoire peut-être, mais on imagine bien l’effet qu’il a dû faire sur le public de l’époque…
Surtout, cette première partie, tragique (le film évoque la légende d’Achille), est filmée avec une maestria impressionnante, avec des images d’une beauté frappante, et une modernité surprenante. On se rend compte aussi que le film a fortement inspiré tout un pan du cinéma populaire à venir. Il y a évidemment beaucoup de ces Nibelungen dans la trilogie du Seigneur des Anneaux (Tolkien s’était inspiré de toutes les grandes légendes européennes, et notamment celle des Nibelungen), mais l’influence du film se retrouve dans des productions nettement plus inattendues : Bodyguard par exemple, où la scène du foulard qui se coupe en tombant sur le sabre est un copié collé de la « scène de la plume » de cette première partie. Une filiation étonnante, oui…
• Voir aussi La Vengeance de Kriemhild.
Un commentaire »
Flux RSS des commentaires de cet article.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.
On vient de faire un épisode sur le sujet si ça vous intéresse.
https://www.youtube.com/watch?v=8WCj5OOnvz0
Bonne continuation