L’Homme qui en savait trop (The Man who knew too much) – d’Alfred Hitchcock – 1934
Hitchcock trouve définitivement son créneau avec ce film dont on a tendance à sous-évaluer l’audace : derrière le flegme et la légèreté apparents de ce polar british, au-delà de l’impression que tout est filmé avec une certaine indolence, Hitchcock glisse une noirceur et une violence de propos assez inattendues…
La longue fusillade de fin en est un bon exemple : Hitchcock y souffle le chaud et le froid d’une manière particulièrement audacieuse. A la fois pleine d’humour (le chef de la police qui boit son thé imperturbable tandis que les coups de feu secouent le quartier), grinçante (les policiers qui ne peuvent répliquer au déluge de feu parce qu’ils ne sont pas armés), et d’une violence assez rare. Car cette fusillade est une véritable boucherie qui n’a rien de fun : flics et voyous y meurent sous les balles.
Avec ce mélange des styles, mine de rien, Hitchcock se montre grave et évoque la perte de l’innocence. La petite Nova Pilbeam (qui sera trois ans plus tard une belle héroïne hitchcokienne dans Jeune et Innocent) ne sortira pas indemne de cette histoire dont elle est le moteur passif. Et quand une jeune femme en petite tenue, débordant de vie et d’insouciance, cède sa chambre à des policiers en mission, c’est la mort qu’elle laisse entrer dans son environnement. Comme le Royal Albert Hall, lieu prestigieux des grandes festivités londoniennes, se transforme en théâtre mortel…
L’histoire est strictement la même que dans le remake que signera Hitchcock lui-même deux décennies plus tard (la neige de Saint-Moritz sera remplacée par le soleil du Maroc, et le Français Pierre Fresnay par le Français Daniel Gélin) : un couple en vacances découvre un projet d’attentat, dont les auteurs enlèvent leur enfant pour les pousser à garder le silence. Même trame, et même climax, dans ce Royal Albert Hall où un coup de cymbale doit coïncider avec le coup de feu mortel, avec une même montée en puissance, la même puissance, et le même cri libératoire.
Dans cette première version, la mise en scène d’Hitchcock est moins sophistiquée que dans celle de 1956. Mais elle est tout de même d’une grande inventivité, et regorge de grandes idées. L’apparition de Pierre Fresnay en sauteur à ski par exemple, malgré des transparences très approximatives, est d’une grande originalité, et plonge immédiatement le spectateur au cœur de l’action.
Et si le jeu de Leslie Banks n’a pas la force et les nuances de celui de James Stewart, le couple qu’il forme avec Edna Best ne manque pas non plus de charme. Quant à Peter Lorre, impressionnant en tueur stoïque au milieu des balles, il est inoubliable, dans une composition qui évoque celle de James Cagney dans White Heat (avec une relation trouble avec une femme qui pourrait être sa mère, étonnant parallèle avec le film à venir de Walsh). C’est son premier film hors d’Allemagne, et on sent que Hitchcock est fasciné par l’interprète de M le maudit. Encore un point commun avec Fritz Lang…
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