Upstream (id.) – de John Ford – 1927
Ce n’est pas un Ford majeur, loin de là. Mais l’événement est quand même de taille. Jugez plutôt : depuis plus de 80 ans, personne n’avait vu cette comédie muette, qui faisait partie de la longue liste des films du cinéaste considérés comme irrémédiablement perdus. Jusqu’à ce qu’une copie soit miraculeusement retrouvée parmi un lot de dizaines de vieilles bobines nitrates non identifiées qui croupissaient depuis des décennies dans les archives de la cinémathèque néo-zélandaise.
C’était en 2009, et on a enfin pu découvrir ce trésor retrouvé dans l’indispensable Cinéma de Minuit de Patrick Brion. Pour mémoire, c’est lui déjà qui avait été le premier à diffuser Straight Shooting, puis Bucking Broadway, deux autres muets disparus et retrouvés de John Ford.
Alors forcément, découvrir ce Upstream, dont on pensait ne jamais voir autre chose que quelques photogrammes, est l’un de ces « graals » qui font le bonheur de tout bon cinéphile. Et que ce film ne soit pas vraiment à la hauteur de l’attente ne change pas grand-chose.
Totalement en marge dans la filmographie fordienne, ce triangle amoureux situé dans les coulisses d’un music-hall ne se prend absolument pas au sérieux. Pas assez, peut-être : il manque un enjeu dramatique fort à cette chronique décalée, souvent drôle mais parfois poussive.
Un triangle amoureux, donc, dans le décor presque unique d’une pension d’artiste : un lanceur de couteaux sans grand relief, sa jolie assistante, et un comédien raté, dernier d’une prestigieuse lignée de comédiens. Le lanceur est raide dingue de la belle, qui n’a d’yeux que pour le bellâtre. Mais ce dernier n’a que deux amours : sa petite personne et sa gloire vacillante.
Ford s’amuse visiblement avec des personnages hauts en couleurs, qu’il filme avec une tendresse assumée. C’est d’ailleurs dans cette petite communauté constituée dans la pension que l’on retrouve l’unique véritable motif fordien : le cinéaste a toujours aimé ces communautés improvisées, faites d’hommes (et parfois de femmes) de tous horizons, qu’il n’a cessé de réinventer au fil de sa filmographie, mais aussi dans sa propre « troupe » de techniciens et d’acteurs.
Le résultat est une comédie attachante à défaut d’être inoubliable. Mais la déception vient aussi du fait qu’on nous avait annoncé Upstream comme étant l’un des rares films muets de Ford marqués par l’expressionnisme allemand, après sa rencontre avec Murnau. Pourtant, point d’expressionnisme à l’horizon dans cette œuvrette plutôt anodine visuellement. L’influence de Murnau sur Ford sera par contre nettement perceptible dans Four Sons, magnifique film que tournera Ford l’année suivante.
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