L’Evadée (The Chase) – d’Arthur D. Ripley – 1946
Curieux film noir, qui commence dans la plus grande tradition du genre, avec un ancien G.I. (Robert Cummings) qui tombe amoureux de la femme d’un gangster (Michèle Morgan) et décide de s’échapper avec elle. Mais un twist inattendu amène le film au bord de l’onirisme, avec une atmosphère très particulière : quand est-on dans la réalité, quand est-on dans le rêve ? Pas facile de répondre à cette question.
Cette atmosphère si particulière, cette volonté d’être toujours sur le fil, jamais vraiment là où on l’attend, c’est la grande force d’un film par ailleurs un peu bancal : un scénario approximatif (pourtant signé Philip Yordan, d’après un roman de William Irish, romancier souvent visité par le cinéma, de L’Homme Léopard à La Mariée était en noir, en passant par Les Mains qui tuent ou La Sirène du Mississipi), une mise en scène sans éclat, et des acteurs pas vraiment en valeur.
Michèle Morgan trouve pourtant là l’un de ses rares rôles de premier plan à Hollywood. Mais son personnage n’existe pas vraiment, et n’est pas mis en valeur par la caméra de l’obscur réalisateur. Morgan qui rêvasse devant un fond d’écran représentant la mer, cela fait… eh bien Morgan qui rêvasse devant un fond d’écran ! Quand la magie n’opère pas, il n’y a rien à faire. Quant à Peter Lorre, il fait du Peter Lorre, avec son talent habituel, mais sans en rajouter.
Il y a pourtant quelques beaux moments furtifs, comme la mort d’un homme dans une cave d’excellents vins, avec ce Cognac Napoléon de 1815 qui se répand dans un égoût d’évacuation, tel la vie qui s’échappe par une mare de sang. Réussie aussi : la peinture de La Havane des années 40, gorgée de vie, où la débauche et les excès côtoient la misère. Là, lorsqu’il s’écarte un peu de son intrigue, Ripley semble être particulièrement inspiré.
Et il y a la fin, hallucinante. La montée dramatique, qui nous amène inexorablement vers l’incontournable affrontement entre Robert Cummings et ses ennemis, est évité par un rebondissement aussi subit qu’inattendu, à cause d’un inutile gadget, pour une fin absolument incroyable, sans doute sans équivalent dans l’histoire du film noir. Mine de rien, ce petit film bancal et au rythme trop lent se joue plutôt habilement de tous les codes du film noir. A défaut d’être un chef d’œuvre, c’est une vraie curiosité.
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