Twixt (id.) – de Francis Ford Coppola – 2012
Coppola se confronte à ses propres fantômes dans ce film, le troisième depuis sa « résurrection » artistique. Retour aux sources, hommage au cinéma de ses débuts, étrange objet cinématographique entre expérimentation et série B horrifique à l’ancienne, Twixt est un film d’une grande liberté. Coppola n’a plus grand-chose à prouver, n’a plus de dette à rembourser, mais a du temps à rattraper. Tout cela se sent ici, pour le meilleur et pour le un peu moins bon.
Mais pour le meilleur, surtout. Car pour étonnante qu’elle soit, cette histoire de fantôme qui oscille entre les grosses ficelles du cinéma d’épouvante, et une approche plus contemplative, est d’une élégance extrême. Les cadres déstructurés composés par Coppola, les lumières automnales ou glacées, la musique lancinante souvent à contre-temps, et les angles d’un grand classicisme brisé par quelques fulgurances de mise en scène… Tout cela crée un sentiment fascinant de malaise qui vous prend dès la toute première image (avec la voix envoûtante de Tom Waits) pour ne plus vous lâcher.
Evidemment, d’autres que Coppola ont maintes fois fait le coup de l’écrivain en manque d’inspiration qui plonge au tréfonds de l’âme humaine pour exorciser ses propres démons (ici en enquêtant sur d’anciens meurtres dans une petite ville perdue hantée par ses fantômes). Mais lui le fait avec style, et avec la volonté affichée et réjouissante d’aller au bout de ses envies. Tout ici pousse au malaise : les rues désertes de cette ville quasi-déserte, le vieux shérif trop enthousiaste (un vrai plaisir de retrouver ce vieux briscard de Bruce Dern, le héros du dernier Hitchcock, Complot de Famille), cette gamine qui sort de la nuit sans que notre écrivain en paraisse étonné, et l’écrivain lui-même, stéréotype de l’artiste raté qui ingurgite des litres de whisky (il m’a donné soif, ce film…) pour oublier ses propres démons.
Le choix de Val Kilmer pour ce personnage n’est pas anodin : la déchéance de cet ancien jeune premier promis à une carrière de premier plan, désormais cantonné au cinéma de 8ème zone, et coincé dans un physique de baudruche, sert à merveille le film, ajoutant au malaise ressenti. L’apparition de son ex-femme Joanne Whalley, avec qui Val Kilmer a formé un couple très glamour il y a vingt ans, ne fait que renforcer ce sentiment.
Film de genre ou essai cinématographique ? Twixt joue sur tous les tableaux. Pour Coppola, le film est surtout une manière de boucler la boucle, affrontant ses vieux démons personnels (l’un de ses fils est mort dans des conditions très semblables à la fille de l’écrivain, que lui-même accepte de revivre en regardant des images en surimpression), et renouant d’une certaine manière avec le cinéma de ses débuts. Le film est en effet un hommage à l’univers d’Edgar Poe (qui apparaît tout au long des « rêves » de Val Kilmer), auteur souvent adapté par Roger Corman, le mentor des débuts de Coppola. Coppola lui-même a commencé en tournant un petit film d’horreur où les fantômes oubliés jouaient un grand rôle (Dementia 13).
Quant au brusque retournement de situation de fin, il laisse un goût un peu amer. Mais il s’apparrente à une authentique renaissance pour le cinéaste. Coppola a terrassé ses fantômes avec ce film parfois bancal, mais revigorant et férocement émouvant. Une porte ouverte pour une nouvelle carrière, voire une nouvelle vie…
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