Madeleine (id.) – de David Lean – 1950
Lean nous livre là une petite merveille de mise en scène, un film magnifique dominé par quelques séquences extraordinaires. Loin de ses grosses productions à venir, le cinéaste compose chacun de ses plans magistralement, et utilise comme personne la profondeur de champs, les contre-plongées et les différences de niveau : la rue qui surplombe la chambre de Madeleine, la jeune femme qui gravit le raide escalier qui la mène au cœur du tribunal, le rendez-vous galant au sommet d’une corniche… Un jeu perpétuel qui souligne le décalage du personnage par rapport à son entourage, et par rapport au regard qu’on pose sur elle.
Le sujet semblait tailler sur mesure pour le réalisateur de Brève rencontre. Pourtant, David Lean n’était pas enthousiasmé par ce film, qu’il n’a tourné que pour accéder à la demande pressante de celle qui était alors sa compagne. Ann Todd (déjà héroïne du très beau Les Amants passionnés) s’était prise de passion pour Madeleine Smith, jeune femme de la haute société écossaise du milieu du XIXème siècle, qui avait été au cœur d’un procès resté célèbre.
Accusée d’avoir empoisonné son amant, Madeleine avait déchaîné les passions, divisant l’opinion publique. Le procès, d’ailleurs, avait débouché sur un verdict sans précédent : ni coupable, ni innocente, la jeune femme avait été libérée car les preuves avaient été jugées « sans fondement ». Le mystère reste entier, et c’est la personnalité complexe qui a visiblement fasciné Ann Todd, qui l’avait déjà interprété sur scène, et qui rêvait d’en tirer un film.
Avec une délicatesse infinie, David Lean s’attache à illustrer cette complexité. Et il y arrive formidablement bien (à l’exception, peut-être, d’un dernier regard faussement ambigü et un peu lourdingue, qui rappelle les pires erzats du cinéma hitchcockien). Jeune femme bien sous tout rapport, Madeleine/Ann Todd n’a en fait rien d’une pudibonde. Avec toute la bienséance qu’il convient, Lean filme pourtant un personnage taraudé par le sexe, et pas uniquement par des amourettes de midinette.
Les censeurs s’y sont peut-être trompés à l’époque, mais aujourd’hui, les non-dits sautent aux yeux des spectateurs. La découverte de sa future chambre par Ann Todd est particulièrement évocatrice : en regardant ce soupirail qui donne sur le trottoir de la rue, elle réalise à quel point cette pièce en sous-sol sera un baisodrome parfait pour elle. Dans l’atmosphère romantique de ce Glasgow aux pavés humides, Lean nous montre une jeune femme qui semble être l’incarnation même de l’héroïne romantique, mais qui en est tout l’inverse.
Au fond, même si elle se convainc du contraire, les histoires d’amour n’intéressent pas Madeleine, qui leur préfère les aventures clandestines. Les choix qu’elle fait sont parfaitement anti-romantiques : son mari, un homme bon et aimant, est sacrifié au profit d’un petit aventurier détestable et calculateur. Cette Madeleine nous laisse un drôle de goût, l’impression de nous être attachés à une jeune femme qui est loin d’avoir révélé tous ses secrets.
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