Une femme dangereuse (They drive by night) – de Raoul Walsh – 1940
Voir deux grands films en l’espace de 90 minutes, c’est possible ? Oui, grâce à Raoul Walsh et cet opus plutôt méconnu de sa filmographie, pourtant un véritable bijou. Peinture sociale, film noir, Walsh passe d’un genre à l’autre avec une aisance confondante, et une brusque rupture de ton qui ne nuit en rien à la fluidité du film ou au rythme légendaire du cinéaste.
La première partie est une esquisse fascinante du quotidien des petits routiers américains : ces chauffeurs de poids lourds qui traversent les immenses étendues du pays-continent au détriment de leur vie privée (et de leur couple), et souvent au péril de leur vie.
Sur ces routes qu’ils arpentent durant d’interminables journées, parfois sans dormir, le risque est omniprésent. Et les restaurants pour routiers qui jalonnent le parcours sont autant de havres où les chauffeurs retrouvent ce qui ressemblent le plus à un cocon familial, mais totalement masculin… le genre d’atmosphères que Walsh aime particulièrement.
Dans cet univers, George Raft et Humphrey Bogart interprètent deux frères qui partagent le même camion. Bogart¸ dans sa période pré-monstre sacré, est le petit frère un peu en retrait, qui n’aspire qu’à une vie rangée avec sa femme, et qui suit aveuglement les rêves de son grand frère George Raft, qui était alors « la » star. Lui a une ambition grande comme ça, et une volonté farouche d’indépendance : prêt à travailler des jours entiers sans s’arrêter, pour pouvoir monter sa propre affaire.
Cette première partie est fascinante, portrait très humain et passionnant d’une Amérique populaire qui peine à se relever de la grande dépression. Ces petites gens qui se battent au quotidien pour gagner leur croûte sont autant de personnages de tragédies en puissance. Et la tragédie intervient bel et bien : par un virage dangereux qui coûte un bras à Bogie, et par la femme du patron, personnage-type de la vamp de film noir, interprétée par Ida Lupino. Ambitieuse prête à tout, romantique contrariée qui a sacrifié sa vie d’amoureuse au profit d’une fortune toute faite, intrigante au bord de la folie, elle fait totalement basculer le film vers autre chose…
La seconde moitié du film vire en effet vers le noir le plus obscur. Il y a un meurtre, un chantage, des destins tragiques, des arrestations, un procès, de l’amour, de l’amitié et de la fraternité… Bref, du grand cinéma populaire d’où émergent de solides seconds rôles qui n’allaient pas tarder à incarner à eux seuls le grand film noir. Raft est excellent, mais son étoile n’allait pas tarder à vaciller face à ceux qui sont encore derrière lui au générique. Ida Lupino, géniale de bout en bout mais qui devient une star grâce à une seule scène : celle où sa folie éclate lors du procès (qu’elle interprète avec un rien d’excès pourtant). Et Bogart, en retrait mais d’une grande intensité.
Il n’y a pas de hasard : quelques mois plus tard, Walsh allait donner à Ida Lupino et Humphrey Bogart les rôles principaux de High Sierra, le film qui ferait de l’actrice une star incontournable, et de Bogie le mythe qu’il est toujours…
2 commentaires »
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Modeste parce que fauchée, cette production Warner affichant par le menu toute la dialectique déterministe Walshienne (mouvement, énergie, résolution, …), et ce jusqu’au risible (la droiture inflexible de Joe Fabrini a quelque chose d’immanquablement naïf), pêche cependant par la faible homogénéité de ses deux parties: si la première, documentaire presque, sur le quotidien harassant, dangereux (et vain ?) des routiers est d’une probante efficacité, elle s’articule mal avec le femmefatalisme (tendance Preminger ?) de la seconde partie au point de laisser à croire que deux films distincts ont été artificiellement collés l’un à l’autre (et ce malgré la qualité inouïe des interprétations).
Bogartophile convaincu je ne peux que me réjouir de ces chroniques et de cette bannière.