Régénération (Regeneration) – de Raoul Walsh – 1915
Bon sang, quel rythme ! On est en 1915, et Raoul Walsh est un jeune cinéaste qui n’a à son actif qu’une poignée de courts métrages (tous perdus), lorsqu’il signe ce petit miracle, considéré comme le premier film de gangster de long métrage. Régénératon peut en effet être vu comme la matrice de nombreux films du genre, qui se tourneront dans les décennies à venir (et dont Walsh sera d’ailleurs l’un des spécialistes, notamment avec James Cagney), et jusqu’à Il était une fois en Amérique.
Le film de Walsh, comme beaucoup plus tard celui de Leone, suit le destin d’un gangster de son enfance à sa vie d’adulte. Le héros est un orphelin qui grandit dans les bas-fonds, devient chef de gang, et trouve la rédemption grâce à sa rencontre avec une jeune femme de bonne famille qui consacre son temps et son argent pour aider les laissés-pour-compte.
C’est le premier long métrage de Walsh, mais son extraordinaire sens du rythme, qui sera sa marque tout au long de sa carrière, est déjà là. Le film est une espèce de chef-d’œuvre d’une modernité incroyable. Sans doute plus que n’importe quel autre cinéaste de son époque, Walsh maîtrise l’art de la mise en scène et le tourne tout entier vers le public.
L’utilisation du montage alterné met en valeur le contraste entre la haute société et la lie de l’humanité, et avec quelle efficacité ! Il sert aussi à accélérer toujours plus le rythme, jusqu’à une longue séquence finale d’une brutalité extrême, et d’une virtuosité totale.
Entre temps, on aura eu droit à quelques bagarres mémorables, à des voitures lancées à pleine vitesse, et surtout à l’incendie d’un bateau qui, près d’un siècle plus tard, reste l’un des plus impressionnants qu’on ait pu voir.
Les moments « en creux » sont tout aussi réussis, en partie grâce à l’acteur principal, l’incroyable Rockcliffe Fellowes, sorte de Brando avant l’heure dont le jeu détaché est lui aussi d’une troublante modernité. Autour de lui, quelques gueules improbables qui semblent avoir inspiré Chester Gould pour son « bestiaire » de Dick Tracy.
Cinéaste déjà maître d’un art dont il sera l’un des meilleurs représentants pendant un demi siècle, Walsh est aussi convaincant dans les séquences spectaculaires que dans la direction d’acteur ou dans les scènes de transition. Son utilisation de la caméra est merveilleuse. Le film contient notamment quelques travellings à montrer aujourd’hui encore dans les écoles de cinéma : la caméra qui s’approche d’un enfant, passant entre les gueules déformés d’un couple d’adultes qui se déchire ; ou encore ce travelling arrière qui part d’un groupe de musiciens pour dévoiler peu à peu l’effervescence qui règne au sein d’un music-hall mal fâmé…
Régénération, spectaculaire, humain et émouvant, est une suite presque ininterrompue de grands moments de cinéma. Un chef d’œuvre ? Oui. Et l’un des tout premiers, encore…
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