Capitaine Mystère (Captain Lightfoot) – de Douglas Sirk – 1955
On a trop tendance à réduire Sirk à ses mélos. Certes sublimes, ces films ne doivent pas faire oublier que le cinéaste a à son actif quelques trop rares films d’aventure, comme ce Captain Lightfoot, méconnu et réjouissant, film d’une vigueur rare dont l’énergie communicative crève l’écran.
A quoi doit-on la fraîcheur du film ? Au Cinemascope utilisé à merveille par Sirk ? Au Technicolor flamboyant ? A un Rock Hudson éclatant de santé et de dynamisme ? Au tournage en Irlande, loin des studios hollywoodiens, et aux décors naturels magnifiques ? Aux seconds rôles « locaux » qui donnent à ce film de genre un aspect « terroir » rafraîchissant ? Sans doute à tous ces éléments à la fois. Une chose semble acquise : Sirk a pris un plaisir fou à tourner ces aventures, et ce plaisir est l’essence même d’un film qui ne se prend jamais au sérieux.
Rock Hudson interprète un jeune Irlandais impulsif et impétueux du début du XIXème siècle, membre de l’un de ces comités révolutionnaires qui étaient omniprésents alors, et dont il regrette l’immobilisme. Recherché par les polices de l’occupant anglais, il se réfugie à Dublin, où un homme le prend sous son aile. Il ne sait pas encore qu’il s’agit du capitaine Thunderbolt (Jeff Morrow), le principal héros de la révolution en marche. A ses côtés, il gagnera en maturité, saura canaliser son énergie, et trouvera l’amour avec la fille de son mentor, interprétée par Barbara Rush, une habituée du cinéma de Sirk qui la filme très joliment.
Scène particulièrement marquante : une fessée mémorable qu’administre vigoureusement Hudson à Rush, et qui déclenche semble-t-il un sentiment amoureux irrépressible chez la jeune femme. Allez comprendre… Mais mine de rien, cette incroyable fessée donne le ton d’un film qui respecte tous les codes du film d’aventure (l’attaque d’un château, l’évasion d’une prison, les course-poursuites, les bagarres… rien ne manque), tout en s’en amusant ouvertement. Captain Lightfoot n’est jamais loin de la comédie pure, même si la tension dramatique n’est pas prise à la légère.
Ainsi, le château à assiéger a tout d’une résidence de villégiature, la rivière sauvage où notre héros manque de se noyer ressemble d’avantage à un cours d’eau tranquille qu’à la rivière sans retour du film de Preminger, les méchants sont volontiers caricaturaux, et les coups ne sont jamais fatals…
Mais même lorsqu’il signe un pur divertissement familial et bourré d’action, Sirk est un immense cinéaste. Chacun de ses plans est admirable, que ce soit dans les séquences d’action ou dans les moments de calme. Les décors irlandais sont utilisés à merveille : la manière dont Sirk filme Hudson devant ces enfilades de maisons blanches, ou dans ces champs entrecoupés de murets de pierres, est d’une beauté incroyable. Plus encore que dans ses autres films, Sirk laisse libre cours à son imagination concernant l’utilisation de cadres dans le cadre, procédé omniprésent ici, et qu’il utilise avec une intelligence extrême (Hudson sortant Barbara Rush du cadre étroit de paravent pour enfin l’embrasser…).
Avec cette parenthèse flamboyante dans son cycle de mélodrame (le film est tourné entre Le Secret magnifique et Tout ce que le ciel permet, deux chef d’œuvre avec Rock Hudson), Sirk réussit un pari difficile : associer un pur de plaisir de spectateur à une superbe démonstration de génie cinématographique.
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