Larmes de clown (He who gets slapped) – de Victor Sjöström (Victor Seastrom) – 1924
Immense cinéaste suédois (Ingmar Bergman, “l’autre” grand Suédois, lui rendra d’ailleurs homage en lui confiant deux très beaux rôles dans Vers la joie et surtout Les Fraises sauvages), Victor Sjöström a marqué de son empreinte le premier âge d’or du cinéma de son pays, avec des films aussi beaux que La Charrette fantôme. Sa réputation attire l’attention des producteurs américains, qui font venir Sjöström à Hollywood cette année 1924, où il américanise son nom (Seastrom, plus facilement prononçable) et signe des films peut-être moins impressionnants que ses œuvres suédoises (en tout cas jusqu’à son classique, Le Vent), mais très réussis, à l’image de ce Larmes de clown, tourné quelques mois après l’arrivée de Sjöström aux Etats-Unis.
Historiquement, le film est important : c’est la toute première production de la MGM, major qui venait d’être fondée après la fusion de plusieurs sociétés de production. Mais le film est aussi important pour son acteur principal, Lon Chaney. Au sommet de son art, l’acteur avait déjà à son actif des films aussi marquants que Outside the Law de Tod Browning ou Shadows, de Tom Foreman). Il venait également d’interpréter le Faggin d’Oliver Twist, et surtout le Quasimodo de Notre-Dame de Paris, superproduction qui avait triomphé l’année précédente.
Pourtant, ce film a donné une nouvelle dimension à la carrière de Chaney : sa prestation exceptionnelle, et le succès immense du film, lui ouvrent grands les portes de la gloire éternelle, et de rôles plus complexes dans des films souvent prestigieux (notamment devant la caméra de Browning, qui lui offrira désormais des rôles particulièrement marquants). Chaney a d’ailleurs souvent dit que son personnage dans Larmes de clown était son préféré.
Ce rôle peut être vu comme la matrice de la plupart de ses grands personnages à venir : amoureux détruit par la trahison de sa bien-aîmée, il se transforme physiquement en parodie d’humain. Ce sera la trame de plusieurs de ses films (notamment de L’Inconnu, le sommet de sa collaboration avec Browning, qui sera un autre grand film de cirque), c’est déjà le cas ici.
Chaney, étonnamment sobre, interprète un scientifique sur le point de dévoiler une découverte capitale sur les origines de l’Homme, qui réalise que sa femme et son ami et financier sont amants et se sont approprié ses découvertes. Humilié, ruiné, il disparaît alors, et on le retrouve quelques années plus tard sous le déguisement d’un clown, revivant soir après soir son humiliation devant un public hilare. Une « thérapie » sans fin, cruelle et masochiste, dans laquelle Lon Chaney excelle.
L’acteur est magnifique. Méconnaissable dans les premières séquences, au naturel, il est bouleversant lors de quelques scènes-clé : celle où il comprend que sa femme et son ami l’ont trahi ; celle encore où, grimé en clown, la vision de la foule hilare lui ramène à la mémoire des fantômes douloureux.
C’est aussi dans Larmes de clown que Norma Shearer a trouvé son premier grand rôle. La star, « façonnée » par le patron de la MGM Irving Thalberg (qui l’épousera en 1927). Dans le rôle de la joli écuyère (personnage incontournable dans un film de cirque), elle forme un très joli couple, bulle d’innocence dans un monde particulièrement cruel, avec John Gilbert. Ce dernier était déjà une grande vedette, mais n’atteindrait son apogée qu’en devenant le partenaire de Greta Garbo dans Flesh and the Devil, trois ans plus tard.
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